En France, il y a pire que la crise

En France, on l’avait compris, on a la crise. On s’en sort mieux que la Grèce, et surtout moins bien que l’Allemagne. Du coup, on se plaint que ça traîne, et il n’y a plus qu’une partie du gouvernement qui croit à une embellie. Et comme dans la majorité de l’Europe, ça grogne de partout, peut-être même que les coutures craquent. Avec une impatience compréhensible, les populations se tournent peu à peu vers les solutions plus radicales, les hommes et femmes politiques qui disent « avec nous ça va changer », avec le sourire aux lèvres et la batte cloutée dans la main. C’est ainsi qu’en France, l’extrême-droite quasiment inexistante au début de la Ve République se proclame aujourd’hui comme le courant qui peut tout sauver (mais pas tout le monde) en faisant tout péter, en engrangeant de manière inquiétante toujours plus de voix. Leur ego devient tellement surdimensionné que le FN annonce qu’il sera premier aux élections européennes. Cela pourrait faire rire si les temps n’avaient pas changé.

A une époque, on aurait suggéré de laisser couler, en comptant sur le fait que les Français n’auraient même pas l’idée de voter pour ces illuminés d’un autre temps. Après les déboires de la république avec le nationalisme et le populisme, ce n’était décidément pas possible. Sauf qu’aujourd’hui, on a pire que cette bonne vieille crise qui s’est enraciné depuis 5 ans: ses fruits politiques.

Une dédiabolisation parfaitement orchestrée

Le FN, seul parti d’extrême-droite ayant bien réussi à s’organiser sur le plan national, avait autrefois une ligne admise de tous: le bon vieux parti des amateurs de blanquettes et de bistrots campagnards, une extrême-droite qui ne se cachait pas, avec un leader assumé, qui aimait se complaire dans des frasques politiques avec relents nauséeux. Un parti raciste, et donc inoffensif puisque seule une étroite minorité oserait voter raciste. Reste le 21 Avril 2002, on a néanmoins été assez rassuré avec l’année 2007. Mais comme le leader s’avérait incapable de monter les marches comme un jeune ambitieux, il a mis sa fille au pouvoir, et la génération 2.0 a vite fait oublier la première. Il a suffi de dire « Je ne comprends pas pourquoi on est si méchant avec nous, alors qu’on n’est pas raciste, on veut juste le bien de la France », pour que beaucoup changent d’avis sur le parti. D’un jour à l’autre, on a changé le visage; une femme de surcroît, qui peut donner l’impression d’être moins agressive, plus jeune pour que la magie opère. On a viré les vilains skinheads qui étaient incompréhensiblement présents. Marine Le Pen a offert une nouvelle confiture qu’on s’est empressé de tartiner sur des kilomètres de pages et des heures de reportages. Résultat, les sondés qualifient Marine Le Pen de courageuse : il faut avoir un courage hors norme pour dire que tout le monde est pourri sauf soi, et pour se parachuter dans une circonscription avec une sociologie très favorable. Cela arrange bien de n’être élu nulle part, pour ne pas avoir à appliquer ce qu’on a dit. Elle est supposée être moins raciste que son père (apparemment, ça choque moins quand il s’agit de musulmans). Les électeurs veulent croire qu’elle fera changer les choses, c’est en quelque sorte la dernière étape avant l’abstention.

Janus en puissance

D’un côté, il y a Marine, et de l’autre Le Pen. La première sourit tout le temps, soigne son image, apparaît douce mais ferme, comme le camembert Bridoulou. Elle amène des enfants sur scène durant ses meetings promouvant la famille, en plus du travail et de la patrie. Celle qui rassure, qui s’évanouit à moitié quand on prononce le nom d’extrême-droite, qui veut faire plus social que les communistes. La leader couronnée cherche à faire de son parti un parti comme les autres, tout en étant contre les autres. Et puis de l’autre… du pur Le Pen. Dans la tradition nationaliste-xénophobe, appelée aujourd’hui sobrement « patriotisme » (avec des twittos faisant constamment allusion à la Résistance, ce qui constitue une insulte pour ce mouvement), avec pour cibles les traditionnels immigrés – dixit les milliers de Mohammed Merah qui débarquent sur nos plages pour manger nos enfants et prendre nos emplois – et les musulmans (prières de rue, viande halal et autres clichés). Cf. de très justes arguments de JLM lors d’un débat sur BFM contre une Le Pen islamophobe et pro-chrétienne, incompatible avec la laïcité. Le sourire du bouledogue cache mal l’ego exagéré de la présidente du Rassemblement Bleu Marine – organisation quasiment dédiée à son culte – le terme « mariniste » remplaçant petit à petit le terme « frontiste ». On se souvient la manière dont elle n’avait pas daigné – par crainte du débat – parler à Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de Des Paroles et Des Actes. Elle supporte d’ailleurs mal la montée des autres figures du parti, notamment sa nièce Maréchal.

Des fanatiques du système

Le thème principal du FN est devenu non plus le nationalisme (sans toutefois l’oublier) mais le rejet d’un « système », sujet où les frontistes excellent encore plus que leurs homologues de gauche. Il est d’ailleurs à remarquer que l’idée montante veut que le « vote d’adhésion » supplante le « vote de rejet » pour le FN. Néanmoins, l’adhésion à une politique de rejet (si on suppose que le FN a un programme) signifie rejeter les autres partis, ce système tant honni. Le parti ne proposant comme solution que l’abolition de tout le reste, on ne peut adhérer à ses idées, car elles sont inexistantes. Il est et restera le parti de la peur et de la haine, de l’érection de boucs émissaires: immigrés, musulmans, financiers, Union Européenne et bien sûr hommes politiques qui ne sont pas d’accord avec eux et institutions dont ils rêveraient de faire partie. Ils emploient un langage stéréotypé (« mondialistes », « libéralistes », … il ne reste plus qu’à craindre les « judéo-bolchéviques ») le plus souvent sans en connaitre la réelle signification. Pour prouver l’existence de la « caste » politico-financière, ils lancent des preuves photographiques, des textes supposés révéler une grande vérité, des faits sortis du chapeau et sans logique aucune. En vérité, ils ressemblent beaucoup à ceux qui voulaient nous faire gober la théorie du 21/12/2012. Chaque objection ou contre-preuve reçoit en échange premièrement des insultes (et autres familiarités que notre compte Twitter a pu recevoir il y a quelques semaines en conversant avec de sympathiques jeunes « patriotes »), et ensuite, soit le noir total ou une réponse illogique qui s’auto-conforte, tel un cercle vicieux. La logique frontiste convient bien à la définition qu’Alain donnait du fanatisme, qui ne souffre le doute.

Un front d’ineptes

Il est acquis que les propositions frontistes sur l’immigration – et les questions « identitaires », avec la laïcité, les racailles et autres antéchrists à peau basanée – sont d’une ineptie crasse, racistes, xénophobes, moyen-âgeuses, vomitives et en somme dangereuses. Il est aussi acquis, même si de plus en plus l’oublient, que les frontistes, n’ayant pas assez de talent, d’intelligence et de bon sens, font appel à la bonne vieille théorie du complot, sous forme d’un système politique pourri (mais pas eux, attention! Il s’agit de l’UMPS qu’ils sortent dès qu’ils le peuvent, trop contents du bon jeu de mots avec deux partis qui s’adorent). Et quand les conseillers politiques de Marine Le Pen s’y mettent, c’est à pleurer. Tout d’abord, leur programme économique est le plus minable de tous (bien que ça ne les empêche pas de sortir parfois un économiste né la plupart du temps sans patronyme, qui est d’accord avec eux). Il s’agit toujours de sortir de l’euro, qui cause notre perte, alors que l’immense majorité des économistes considère cette potentielle sortie comme une mort assurée (mais on s’en fiche, ils ont étudié l’économie des années et pas nous, ce sont sûrement des idiots grassement payés par les technocrates de l’UMPS). Il est certain que leur programme économique fortement marqué « Made in France »  – et c’est connu, économie et idéologie font bon ménage – sort de l’esprit détraqué d’un nerveux à crâne rasé. Et que dire sur les autres sujets ? Dès qu’il ne s’agit pas d’économie folle ou d’immigration, silence radio. Si on avait élu Marine Le Pen, on n’aurait que 4 ministères: celui de l’Immigration, celui de la Souveraineté économique, celui de la Bombe H et celui du Reste. Bien sûr, il faut faire bonne figure sinon c’est suspect: ainsi si on leur objecte cela, ils ressortent une proposition attendue sur le handicap prononcée entre deux quintes de toux lors d’un meeting à Saint-plouc-sur-Loiret. Il n’y a qu’à regarder cette page sur le programme écologique de la Grande Divinité  : après quelques banalités estampillée « ‘l’écologie, c’est important », un tacle pour Sarkozy et des constatations qui nous font une belle jambe, on a des « solutions » revenant sur l’anti-immigration, l’islamophobie (anti-viande halal) et la paysannerie à la bêche.

Le parti du peuple, qu’il regarde de haut

Le principal problème du parti et de Madame Sa Présidente, est qu’il prend tout le monde pour des idiots. Non seulement ils méprisent ceux qu’ils disent défendre (puisqu’ils misent sur la désinformation et qu’ils aiment se faire encenser par leurs militants tout en feignant d’aller serrer des mains innocentes et victimes dans la rue), mais en plus ils prétendent être le contraire de ce qu’ils sont. Ainsi, évitant toute affiliation à un extrémisme, et ce malgré sa définition, ils prétendent défendre les peuples (terme préféré des populismes) d’Europe et du Monde, dont ils n’ont que faire en réalité, contre les vilains régimes au-dessus d’eux. Il s’agit en réalité d’une secte qui n’a pas pu ou pas voulu par facilité exister dans le monde de la politique modérée (il est toujours plus facile d’être seul à bord que de coexister, de débattre et de gagner par les idées). L’hypocrisie de ce parti le pousse à dire à peu près n’importe quoi qui pourrait lui rapporter des voix.

Le rouleau con-presseur

A l’époque où ce parti insistait surtout sur le nationalisme, le parti était  contenu. Mais la crise est arrivée, avec ses angoisses, ses peurs et son besoin de boucs émissaires: le FN a donc dû parler économie pour avoir des voix et le meilleur moyen de toucher les gens est de parler de leur sécurité et de leur portefeuille. Cette politique a été portée par une nouvelle figure, plus jeune et avenante, bien qu’agressive et extrêmement rusée, cherchant tous les moyens d’engranger des voix (c’est ainsi que MLP n’est pas allée aux manifestations anti-mariage gay pour ne pas avoir l’air réactionnaire et non pas parce qu’elle était d’accord avec la proposition). Ainsi, plus le pays va mal et plus les cheveux de la Leader ondulent, plus le « rouleau compresseur » agit. Il fait frémir les QG politiques, autant comme une menace électorale que comme une menace pour la France. Ce mouvement protestataire et réactionnaire est décrit depuis 2011 comme irrésistible, provoquant la jubilation de ses têtes pensantes imbues d’elles-mêmes. Ainsi, c’est un mouvement auquel on ne peut résister (cf. la défaite de Villeneuve qui est sans doute plus complexe que ça) et même auquel on ne doit résister: on a vu les deux finalistes de 2012 courtiser sans se cacher les électeurs frontistes. On a même confondu pendant des mois l’UMP et le FN, scindant le premier parti en deux, avec d’un côté le penchant droitier copéiste et de l’autre le penchant modéré filloniste. Ainsi donc, le FN fait peur, preuve selon Le Pen de la peur de la caste, craignant de tomber de son piédestal.  Certes, son parti avance à grande vitesse, notamment chez les jeunes qui n’ont presque pas connu le père et le FN sans masque. On annonce que le FN, « premier parti des ouvriers » (ils visent une classe sociale peu éduquée, donc moins apte à répondre de manière approfondie aux discours primaires du parti), recrute partout, dans toutes les classes et tous les partis : sont exhibés, comme pour les homosexuels qui votent pour le parti, des personnalités venues de droite ou d’extrême-gauche, soit réactionnaires, soit anti-système, donc qui n’ont en réalité jamais été très loin. Le FN serait donc partout.

Certes, parler du FN et de sa présidente, c’est prendre le risque de leur faire de la publicité, mais il est temps de ne plus rester impassible. Si le FN ratisse au PS, le plus éloigné de lui sur le plan politique, c’est inquiétant. Si le FN est passé à deux doigts de prendre un siège à plusieurs élections partielles, c’est inquiétant. Si le FN ne fait plus peur et s’il suffit de sourire en disant les pires horreurs sur ceux qui n’ont pas réussi pour l’instant à transformer les comptes de la France en ceux de la Chine, c’est inquiétant. Si on oublie les progrès sociaux, écologiques et économique qu’a fait la France durant la Ve République en disant que rien n’a changé, c’est inquiétant. Si le fameux front républicain qui a « volé en éclats » chez Cahuzac, n’est plus capable de se reformer, c’est inquiétant. Si un parti d’extrême-droite, bien qu’il ne soit pas aussi extrémiste que les néonazis de Grèce, s’immisce progressivement dans les rouages démocratiques, c’est inquiétant. On ne peut pas laisser faire ça. Les frontistes ne reçoivent que trop peu d’opposition en ces temps. Pourtant, cette opposition n’est pas morte, il lui faut juste donner la possibilité de s’exprimer, de ne pas accepter ce qui se passe. Ce parti, le plus rusé et le plus efficace de son bord, risque de faire des dégâts irréparables là où il passera. Sa présidente avide de pouvoir après tant d’années cachée derrière son père risque en 2017 d’anéantir la situation et la place que s’est faite la France pendant des décennies, en dépit de toutes les valeurs universelles et des volontés d’alliance des nations. L’auteur s’est efforcé d’étayer le plus possible cette thèse essentielle pour la République de la manière la plus complète, mais il aurait fallu des tomes entiers pour détailler les idées, les rouages complexes et l’histoire de ce parti dangereux, ce dont il n’a pas les moyens. Aucune concession n’a été faite dans cet article en faveur de l’opposition frontiste (ce n’est d’ailleurs pas ici que vous trouverez un frontiste pour objecter): on l’entend assez pour ne pas avoir à chichiter quand on leur répond. Les opinions de ce blog sont rarement aussi tranchées, radicales et virulentes: c’est parce qu’on n’a l’autorisation et le devoir d’être intolérant qu’envers l’intolérance.

Scipion

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