
François Guillot / AFP
Bien discret depuis son éjection de Matignon par Manuel Valls, Jean-Marc Ayrault se montre peu et on ne l’a vu que très rarement, notamment pour son retour à l’Assemblée Nationale. On le croit noyé dans le désespoir dans sa maison du Morbihan, mais le blog Démosthène 2012 a pu se procurer son journal de bord et retranscrit ici la très instructive section datée du 28 Juillet 2014. Attention ! Les lecteurs non-spécialistes de la politique devront, pour une compréhension complète de l’article, avoir lu la définition suivante:
Jean-Marc Ayrault
Homme Politique (25/01/1950)
Maire socialiste de Nantes de 1989 à 2012, Premier Ministre du 15 mai 2012 au 31 mars 2014. Sait parler l’allemand. Théoriquement.
10h: Je me réveille un peu tard, effondré sur l’atelier du garage. Heureusement, ma tâche est enfin achevée, et tout est fin prêt pour la dernière réunion des Déçus. Nous avons mis trois mois à réunir cette coalition des déçus de François, mais cela en valait la peine, car une alliance allant de Borloo à Mélenchon saura gouverner la France avec un large soutien de la population. Cela me donne de la peine de devoir retourner ma machine infernale contre François, nous qui nous tenions les coudes dans les moments difficiles, mais il m’a trahi en préférant la popularité à la réforme, la gloire à l’immortalité. Quant à Manuel, je n’aurai aucun remord pour celui qui m’a coupé l’herbe sous le pied et a convoité mon poste pendant deux ans. Si nous ne faisons rien, la gauche n’existera plus en 2017 et nous aurons à choisir entre Valls, Sarkozy et Le Pen : autant choisir entre la peste, le choléra et la variole.
10h30: Même si cela me prend beaucoup de temps, je réponds à tous les courriers que je reçois. Parmi eux, il y a souvent beaucoup de dessins d’enfants me représentant en train de mettre une raclée à des supers-vilains comme le chômage ou la faim dans le monde. Aujourd’hui, le petit Jacques, de Corrèze, m’a représenté m’asseyant sur un gnome à l’air vicieux. Il aura droit à une photo dédicacée. Sinon, rien à signaler, encore des propositions de conférences à Zurich, des messages de soutien, des inaugurations de statue, etc. Rien qui ne relève de l’inhabituel.
11h30: Je regarde BFM pour me tenir au courant et être prêt pour mon retour aux affaires. Un socialiste a encore récriminé contre la politique du gouvernement. Aujourd’hui, Jacques Auxiette [Président de la région Pays de la Loire, NDLR] a harponné Ségolène. En même temps, je le comprends, c’est tentant. Généralement, Cambadélis est là pour rappeler « l’unité » et la « cohésion derrière la gouvernement », il a dû partir en vacances. Déjà qu’on n’est pas passé loin de la catastrophe avec les 41 députés frondeurs incapables de patienter quelques semaines … Un peu plus et nous étions découverts, et s’en était fini de notre beau projet. D’un côté, aucun râleur avec une politique aussi nulle, ça fait aussi suspect. J’envoie un petit messages de soutien à Auxiette, histoire qu’il ne déprime pas trop. Qu’il garde espoir, le grand jour est arrivé !
12h03: Le téléphone sonne alors que je suis en train de déjeuner: c’est encore Kerry qui me demande un conseil sur Gaza. Je fais semblant de ne pas être là, mais le bougre continue ! Excédé, je décroche au bout de la cinquième fois, mais je tombe sur Petro Porochenko, le Président Ukrainien, qui ne sait plus quoi faire avec Poutine. Je lui dis que ne rien faire, c’est toujours la meilleur chose à faire. Son Premier Ministre a démissionné, il me veut pour le remplacer: je décline poliment, car mon coeur reste en France.
12h50: Je retourne dans mon bureau pour prendre mon manteau, mais je le découvre sens dessus dessous. Tous les tiroirs ont été retirés, le papier peint a été arraché: je reconnais bien là les méthodes de la DGSI, sûrement envoyée par Manuel. Heureusement, mon portrait de Mauroy est intact. J’ai pris soin de ne rien laisser de compromettant chez moi, ils n’ont donc rien trouvé, mais ils ont des doutes. Il est temps que tout cela se termine.

Mikael Libert / 20 Minutes. Ayrault présidant l’hommage à Pierre Mauroy
13h: Bayrou passe me prendre devant chez moi avec sa Twingo orange. Rama Yade est déjà dedans et a l’air fatiguée. J’espère qu’il ne lui a pas encore parlé de la différence entre les moteurs à essence et les moteurs diesel.
13h30: Alors que nous nous rendons à la mairie de Carhaix, QG des Déçus, Bayrou nous entretient de la vie des chevaux en Pays de Béarn. Rama nous dit de prendre la prochaine sortie à droite, mais je sais qu’il faut continuer à gauche. Bayrou n’a pas su se décider et a continué tout droit, nous voilà encastrés dans un remblai. Dans notre tentative pour rejoindre la départementale, nous avons retrouvé Antoine Waechter, caché dans un tunnel pour animaux sous l’autoroute.
14h11: Nous sommes à 2km de Carhaix. Bayrou nous bassine avec des chansons de scouts sur les maîtresses d’Henri IV. Mélenchon nous dépasse en monocycle en faisant mine de ne pas nous voir. Il s’est fait confisquer sa voiture la semaine dernière pour avoir pourchassé Le Pen pendant 2h. Le pire, c’est qu’il l’a ratée.
14h30: Nous entrons dans le sous-sol de la mairie. Une porte s’entrouvre et on nous demande le mot de passe: « Bourget ». Nous entrons dans une grande salle éclairée à la bougie où tout le monde est assis autour d’une table ronde et porte un manteau à capuche. Je m’assieds en face de Martine, élue Présidente des Déçus lors de la dernière réunion. Nous ne pouvons débuter la séance car Mélenchon n’est curieusement pas arrivé.
14h45: Mélenchon n’a pas pu s’empêcher de s’embrouiller avec les bonnets rouges sur le chemin. A présent, il a oublié le mot de passe et ne cesse de répéter « Bastille, Bastille ».
15h: Pressés par le temps, nous lui ouvrons. La réunion commence par la lecture de notre manifeste, rédigé par Marielle de Sarnez, que je retranscris ici (le manifeste, pas Marielle):
Source: dedicacedebd.blogspot.fr
Les signataires de ce manifeste, c’est-à-dire des personnalités de gauche reconnaissant que le gouvernement est devenu un suppôt du capitalisme ultralibéral, et des personnalités du centre reconnaissant que s’il n’y a plus de gauche, ils ne peuvent plus être au centre, actent leur déception vis-à-vis de l’exécutif français. Ils demandent donc:
1° Une politique plus sociale, écologiste, radicale, pro-européenne, anti-TAFTA, humaniste, modérée, en faveur des locataires, transparente, marxiste, en faveur des propriétaires, démondialisante, axée sur l’exportation, rigoureuse, généreuse pour les classes moyennes, contre le Capital, pro-TAFTA, en faveur d’une agriculture de proximité intégrée à la mondialisation, pour les entreprises, pour les salariés, pour une démocratie représentative et directe, contre la finance, libérale et valorisant le rôle des chevaux des maîtresses d’Henri IV dans la motorisation des engins agricoles dans le Béarn.
2° Plus de propositions.
Les Déçus feront tout ce qui est et n’est pas en leur pouvoir pour changer la politique actuelle, même si cela implique des trucs méchants.
Là, ça veut dire que nous allons faire sauter les voitures de François et Manuel à 18h pétantes et prendre leurs places. On va être les Bonaparte du XXIe siècle. Et moi, je serai Captain France, Rose Lantern comme m’appelle déjà Martine.
15h15: Point sur les explosifs. Celui pour Manuel a été acheté sur eBay, mais vu le prix, nous avons dû fabriquer celui pour François, et c’est moi qui m’y suis collé. En échange, Martine, pressentie pour devenir Présidente de la République, a promis de me nommer Premier Ministre. Nous avons bien essayé de constituer un gouvernement parallèle, mais ça coince toujours au niveau du Secrétaire d’État à l’Agroalimentaire, parce que personne n’a trouvé ce que ça voulait dire.
15h20: Viens le délicat moment de choisir des boucs-émissaires, ceux qui placeront les bombes et se dénonceront. José Bové s’est porté volontaire immédiatement, mais il faut toujours quelqu’un d’autre. Tout le monde a une bonne raison de ne pas y aller: Moscovici son futur poste de commissaire européen, Borloo son club de foot, Duflot son compte Twitter, Poutou une usine sur le feu, etc. Finalement, Cahuzac se propose: tout le monde le regarde avec admiration. Il a déjà été si courageux quand il a endossé la responsabilité du compte suisse de Sapin.
15h55: Nous mettons en place les derniers détails. José et Jérôme ont été déguisés en rebelles ukrainiens islamistes. Au moment d’approuver le plan, tout le monde se tourne vers Mélenchon. Il grogne. Quand Mélenchon grogne, c’est qu’il est content. Tout le monde repart soulagé.
17h: Najat me ramène chez moi: elle a l’air vraiment déprimée depuis que François lui a passé un ministère dont les fonctions ont été tirées au sort. Maintenant, je dois me trouver un alibi pour 18h : je commence un karaoké endiablé pour que Brigitte me remarque.
17h30: Je tourne en rond. Je travaille tantôt sur la traduction en allemand de ma biographie de Jean Poperen, sur mon futur passage au 20h de TF1, sur mes mémoires (avec ce que j’ai vécu depuis Avril dernier, j’ai de quoi écrire un troisième chapitre !), mais je ne peux tenir en place plus de cinq minutes.
17h45: On sonne à la porte, je regarde par le trou de la serrure: je reconnais la cravate de travers de François. Je m’empare de mon fusil de chasse et tourne lentement la poignée. Aussitôt, il se jette à mes pieds et commence à m’implorer. Il dit que Manuel lui cause trop de soucis, que tous ses amis se rangent de son côté et qu’il craint un coup d’État. Il pense que moi seul peut lui faire face et il veut me reprendre. Il se roule par terre et se mouche dans mes chaussettes. Je déteste quand il fait ses yeux de teckel battu. A ce moment-là, je ne me sens plus la force d’exécuter le plan, mais je ne peux me résoudre à trahir les Déçus.

Source: meltybuzz.fr
17h59: Je retourne le dilemme dans ma tête depuis un quart d’heure. François attend dans sa voiture. Je regarde mon bracelet WWJD (What Would Jaurès Do ?). Je me dis que la violence n’est pas nécessaire et que je peux changer les choses avec François. C’est décidé, j’y vais.

Source: replay.fr
18h: J’ai peut-être réagi un peu trop lentement. La voiture expose devant moi, impuissant. Je me barricade chez moi, mais j’entends déjà les sbires de Manuel qui approchent. Ma maison est canardée. Je m’enfuis en voiture. Ils me poursuivent pendant des heures et me font traverser la moitié du pays. Arrivé au niveau du Canal de la Jonction, près de Nevers, une grande berline me rattrape et donne un grand coup de volant: ma voiture vient se ficher dans un arbre, je ressors hébété. Des hommes-grenouilles sortent de la Nièvre avec des revolvers. Ils vont m’avoir. Adieu la France, adieu Matignon …
10h: Je me réveille un peu tard, affalé sur le canapé. J’ai encore fait cet horrible cauchemar où je tue François, mais cette fois-ci, je l’ai noté (le rêve, pas François), comme me l’a demandé mon psy. Je ne sais pas ce qu’il signifie, mais je suis sûr que je ne veux aucun mal à François, ni à Manuel qui a été si gentil avec moi pendant deux ans. Il m’a même envoyé une photo de lui sur le yacht de Bolloré. Le combiné de téléphone pend au-dessus du sol: je reste tout le temps à côté pour ne pas rater un appel de François. Je suis sûr qu’il va m’appeler.
10h30: Je lis mon courrier. J’ai reçu une carte postale d’un petit garçon qui me parle de ses vacances à Saint-Malo. Je suis presque sûr de ne pas m’appeler Suzanne, mais je suis quand même touché. Jacques Auxiette a répondu à ma lettre de soutien pour la fusion de sa région avec la Bretagne. Il se dit très content, mais me demande de ne pas rendre ce soutien public parce que « tu comprends, il faut qu’on soit un peu crédible ». Entre deux factures de gaz, l’association pour la Sauvegarde de la Galette Saucisse Bretonne m’invite à participer à son banquet annuel, cela faisait des mois que j’attendais ça.

Suivez les dix commandements
11h: Je n’ai rien à faire: les rues sont vides, je n’ai plus d’inspiration pour écrire mes mémoires et Brigitte est partie chez son prof de yoga pour sixième fois depuis dimanche. Je m’assieds tout de même à mon bureau dans l’espoir de trouver de l’inspiration, peut-être que mon portrait d’Edith Cresson m’aidera.
12h: Dans un ultime essai pour faire quelque chose de ma journée, j’essaie le kit de karaoké que ma fille aînée m’a offert pour Noël. J’abandonne bien vite pour aller me coucher. Comme disait Chirac, il y a tellement de jeunes qui sont vieux que ce n’est pas la peine de rajouter des vieux qui veulent jouer les jeunes.