Tous les chemins mènent à Bruxelles

Source : wbi.be

L’Union Européenne n’est pas intrinsèquement bonne. Ce n’est pas un ensemble d’institutions arrivé du ciel avec le traité de Maastricht en 1992 qu’il faudrait acclamer sous prétexte que l’on est européiste. Être favorable à un destin commun européen ne veut pas dire porter aux nues n’importe quel projet sous prétexte qu’il est estampillé « Europe ». A contrario, constater des problèmes dans un projet européen, particulièrement des lacunes, ne doit pas conduire à une réaction nationaliste : si l’UE manque de démocratie et de représentation, pourquoi proposer de la supprimer au lieu de combler ces lacunes ? La création d’une communauté européenne part du constat simple d’une histoire commune extrêmement conflictuelle sur le continent européen, qui a abouti à deux suicides européen de masse, en raison de l’inexistence d’un dialogue généralisé et institutionnalisé pour mettre en lumière les intérêts communs des États (bien que dans le cas de la Seconde Guerre Mondiale, il apparaissait quelque peu difficile de raisonner avec Hitler, mais que sans doute une issue un peu moins navrante et inefficace que celle de Munich aurait pu être trouvée). L’Europe est donc une construction avant tout politique, qui a relativement rapidement abouti à la création en 1979 d’un Parlement Européen, mais est passé tout d’abord par le stade économique avec la CECA et la CEE, ayant notamment pour but de faire comprendre la nécessité d’une collaboration interétatique et d’accroître l’interdépendance des pays. L’Europe s’est basée pendant 70 ans sur la théorie de Walter Hallstein (premier Président de la Commission Européenne) : « L’Europe, c’est comme une bicyclette. Si on arrête de pédaler, elle tombe ». Aujourd’hui, seul l’euro empêche les États d’un retrait théorique de l’Europe, car ils pourraient très bien rétablir les frontières, refuser l’autorité de la Cour de Justice de l’Union Européenne, ne plus payer les éventuelles amendes infligées suite à une infraction au principe des 3%, certes avec des conséquences non négligeables mais pas insurmontables. Peu de choses font aujourd’hui prendre conscience aux États de leur interdépendance implicite. Pourtant, il existe de nombreux domaines dans lesquels les pays européens ont intérêt à s’unir afin d’établir un contrat social, comme les individus acceptent (normalement) l’autorité d’un État afin qu’il garantisse leur sécurité et leur prospérité.

Ecologie

Campagne Union Européenne Environnement chiens

brochure l'europe au quotidien-environnement

Source : strabourg-europe.eu

 L’Union Européenne n’est pas la dernière pour encourager les pratiques écologiques, comme l’a montré la révision du « paquet Energie Climat« , qui fixait en 2008 un objectif de 20% de réduction des gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990, objectif passé depuis cette année à 40% en 2030. Hélas, nous apprîmes ce mois-ci que la Commission abandonnait 83 projets de normes portant sur la qualité de l’air et l’économie circulaire, des sujets bénéficiant pourtant à l’emploi et aux systèmes de sécurité sociale, et ce en raison d’un lobbying dont on ne sait s’il relève du chantage ou de la corruption. Alors que certains États (dont la France) ne semblent pas pressés de faire passer les objectifs environnementaux en priorité (cf. la reculade de Mme Royal sur les feux de cheminée émetteurs de particules fines, qui ne mange pas de pain, surtout quand ça rajoute quelques points sur la côte de popularité), l’Europe ne peut se contenter d’être une instance supranationale qui fixe des objectifs avec de gros yeux sans jamais vraiment contraindre (on voit déjà tout le mal qu’elle a à imposer les 3% à la France). Il faut à présent infliger des amendes aux pays ne respectant pas des plans à court-terme de généralisation des énergies renouvelables, grouper les importations énergétiques afin de fixer des prix et des quantités incitant à la transition énergétique, assurer un système de compensation automatique de la production d’électricité entre les pays membres, mutualiser les programmes de recherche et les technologies écologiquement innovantes, retirer les subventions aux activités polluantes, imposer les mêmes exigences en matière de logement, de préservation de la biodiversité, de qualité de l’air à tous les pays; et ce afin que chaque pays bénéficie des efforts environnementaux de 400 millions de personnes, car l’environnement et le développement durable sont les sujets par excellence qui ne peuvent être gérés qu’au niveau national.

Économie

chômage record zone euro

Source : rtl.fr

L’Union Européenne bénéficie sans doute de l’intégration économique régionale la plus poussée du monde. Des progrès sont encore à faire au niveau de la solidarité, comme l’ont montré les réticences de l’Allemagne à augmenter ses importations ou leur coût (par le refus de dévaluation de l’euro), en entretenant un excédent budgétaire contre-productif au niveau européen (et donc pour elle-même). L’intégration économique se fait essentiellement au niveau interétatique et les projets de développement locaux, souvent réservés aux régions les plus en difficulté, sont décriés par les pays riches comme de la charité improductive, quand ils pourraient garder cet argent pour eux. C’est oublier que le développement d’une région voisine impacte en termes d’opportunités financières, matérielles et professionnelles tous les pays de l’Union. L’argent dépensé dans le cadre de la solidarité fait assurément bien plus plaisir au débiteur qu’au créditeur, mais qui sait quel pays aura dans le futur besoin des finances et du dynamisme de ses voisins. C’est exactement le même processus qu’au niveau national. L’Europe doit se comprendre comme une zone économique cohérente, où les atouts de chaque région permettent d’alimenter la diversité des secteurs et d’assurer un  développement complet et bénéficiant à tous (ainsi, il serait moins grave de voir les emplois se tertiariser en France si la Roumanie, par exemple, vient compenser par la vivacité de son industrie, dans la limite bien sûr d’une conservation relative des compétences professionnelles et de la qualité et de la diversité des produits). Dans la même veine, sans doute serait-il aussi judicieux de créer une agence européenne du chômage, avec la possibilité de proposer aux chômeurs des emplois à l’étranger avec si nécessaire des formations linguistiques, avec l’idée de faire correspondre au niveau européen, plus efficace car plus large, l’offre et la demande de travail.

Défense

Séance de formation des soldats de l'armée malienne par un instructeur français.

Séance de formation des soldats de l’armée malienne par un instructeur français. Crédits photo : Jeremie FARO

Il existe une « Politique de Sécurité et de Défense Commune » (PSDC), mais qui ne s’occupe pas des interventions (mais plutôt des missions de recherche, de gestion, d’aide aux populations, etc). Il n’existe aucune armée européenne. A titre d’exemple, la EUFOR-RCA, force européenne prenant la suite de la France dans la crise centrafricaine, est composé majoritairement de Français, avec un quartier général en Grèce : il ne s’agit que d’un accord du Conseil des Ministres des Affaires Étrangères de l’Union Européenne portant sur la coopération d’un faible effectif (1000 hommes) inter-armées. L’assurance d’une paix définitive en Europe, même si elle paraît aujourd’hui acquise entre le 28 pays membres, passe par la création d’une armée européenne et non d’une simple coopération militaire pour une défense mutuelle. Par exemple, l’attribution à la moitié des contingents européens du statut de « soldat européen », sous un commandement militaire unifié et exclusif et un commandement politique détenu par le Conseil Européen (sans doute est-il trop tôt pour le confier à la Commission), avec des évolutions de carrière, des services administratifs, un budget et bien sûr un équipement propres, passant en première ligne pour la défense du territoire européen et les opérations extérieures faisant l’objet d’un consensus, garantirait plus efficacement la sécurité de chacun des États tout en leur laissant la possibilité avec leur moitié restante d’assurer leurs missions à titre individuel (pour que les Anglais gardent la joie de suivre les Américains dans n’importe quel bourbier). La création d’une armée européenne, garantissant une souveraineté européenne, est de plus concomitante à la création d’un État européen.

Politique

Chapatte europe une seule voix

Crédits: Chapatte

Le manque de démocratie revient le plus souvent dans les critiques adressées à l’Union Européenne. On peut appuyer cette affirmation avec le pouvoir grandissant des technocrates, des lobbies (qui viennent défendre des intérêts privés et non pas des causes), avec le fait que les alliances majoritaires sont larges et que par conséquent, les mesures décidées ne découlent pas vraiment d’un programme politique clair, et aussi avec le manque de communication des politiciens nationaux et européens sur l’action des institutions européens, rendant ainsi criante l’absence de rendu de comptes et de transparence, et augmentant à juste titre la frustration des citoyens vis-à-vis de l’Europe. Mais dire que les décideurs ne sont pas élus relève du fantasme : le Parlement Européen, élu au suffrage universel direct par tous les électeurs européens, vote les lois (à la majorité relative) avec le Conseil Européen (à la majorité qualifiée), composé des chefs d’État et de gouvernement élus par les citoyens de leur pays, l’initiative des lois revenant à la Commission Européenne, dont le Président est proposé par le Conseil selon le résultat des élections européennes et dont tous les membres sont approuvés par le Parlement. On retrouve donc de très grandes similarités avec le système allemand fédéral parlementaire, où Bundestag représente le Parlement, le Bundesrat le Conseil et le Gouvernement la Commission, avec souvent de larges coalitions. Cela choque donc les représentations françaises, qui voudraient l’élection d’un « Président de l’Europe ». Le principal problème n’est pas celui de la démocratie, même si celle-ci peut évidemment être améliorée. Il tient au manque cruel d’information des citoyens et au statut très ambigu de l’Union Européenne : est-ce une confédération (une alliance d’États reconnaissant une autorité centrale) ou une fédération (une alliance d’États ayant transféré la plus grosse part de leur souveraineté dans un pouvoir central démocratique) ? On est aujourd’hui dans une situation inconfortable où l’intégration nous a progressivement poussé à avoir une monnaie unique, des institutions démocratiquement élues en majorité et une suprématie du droit européen sur le droit national, mais pas de souveraineté européenne, pas d’armée européenne, pas d’impôt européen, pas de citoyenneté européenne, pas de passeport européen, en somme pas d’État européen capable de gérer toutes les réalisations européennes. Il semble peu probable et surtout peu souhaitable d’arriver dans les années qui suivront à un État fédéral de la trempe des États-Unis, en raison des différences cultures, politiques, sociales et surtout linguistiques entre les 28 pays membres. Rappelons que c’est la volonté de coopération européenne qui doit légitimer les institutions européennes et pas le contraire. Que ce soit sur les questions d’environnement, d’emploi, de dette, d’armée, d’éducation, et tant d’autres.

Fascicule Pacte citoyens du monde Garry Davis

Source : rue89.nouvelobs.com. Fascicule du Pacte des citoyens du monde de Garry Davis

Parce que touchant aux questions d’identité (un Français se définira prioritairement comme tel dans un contexte mondial), les questions d’indépendance, de souveraineté et d’autonomie, déjà conflictuelles au niveau national, font craindre une crispation autour de la question européenne. En effet, les remarques sur la participation déficitaire de la France au budget de l’Union (mais n’est-ce pas normal pour un pays plus riche ?) sont légion. Mais c’est aussi oublier l’artificialité de l’Etat et de la Nation. Si l’expérience commune de vie dans un même pays donnent l’impression qu’on peut vivre de manière plus sure et prospère à côté d’autres Français, il est illusoire de considérer la « Nation » (censée former un tout, alors qu’on se demande s’il y a moins de ressemblances entre deux cadres allemand et français qu’entre un cadre parisien et un ouvrier albigeois) comme naturelle, de même que l’Europe n’est pas le cadre le plus « naturel » qui soit. Seulement, dans l’optique de coopération des individus pour leur bien-être, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? L’application que les élites nationales ont mis à créer un État a fait penser qu’il s’agissait de l’étape ultime et qu’en tant qu’individus, ils devaient entrer en compétition les uns avec les autres. Soyons reconnaissants à quelques hommes et femmes européen(ne)s d’avoir compris que l’intérêt de tous est de faire coopérer à leur tour ces nouveaux individus que sont les États. Mais pour arriver au bout de ce projet, il est indubitablement nécessaire d’affaiblir la corporéité artificielle des États, d’en finir avec l’inter-gouvernementalisme. Sans doute ne disparaitront-ils pas dans ce siècle, peut-être même jamais car l’autorité d’un gouvernement ne peut s’appliquer de manière totalement centralisée sur 400 millions d’individus, mais plus qu’un État européen, il est temps de réaliser la société européenne. Tous ceux qui agitent l’étendard indistinct de « l’Europe des Nations » ne réalisent pas que le but de toute construction politique est de mettre à cette illusion destructrice que l’Autre est ennemi. Que cet Autre soit Français, Européen ou plus simplement citoyen du monde.

 Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l’empêchera pas d’être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l’humanité. Elle aura la gravité douce d’une aînée. Elle s’étonnera de la gloire des projectiles coniques, et elle aura quelque peine à faire la différence entre un général d’armée et un boucher; la pourpre de l’un ne lui semblera pas très distincte du rouge de l’autre. Une bataille entre Italiens et des Allemands, entre Anglais et Russes, entre Prussiens et Français, lui apparaîtra comme nous apparaît une bataille entre Picards et Bourguignons. […] Elle aura la suprême justice de la bonté. Elle sera pudique et indignée devant les barbaries. La vision d’un échafaud dressé lui fera affront. Chez cette nation, la pénalité fondra et décroîtra dans l’instruction grandissante comme la glace au soleil levant. […]

Couper un pont sera aussi impossible que couper une tête. […]. Il n’y aura plus de ligatures; ni péages aux ponts, ni octrois aux villes, ni douanes aux États, ni isthmes aux océans, ni préjugés aux âmes. […] Elle sera plus que nation, elle sera civilisation; elle sera mieux que civilisation, elle sera famille. Unité de langue, unité de monnaie, unité de mètre […].

Cette nation aura pour capitale Paris, et elle ne s’appellera point la France; elle s’appellera l’Europe.

Elle s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée ensemble, elle s’appellera l’Humanité. […]

Le continent fraternel, tel est l’avenir. Qu’on en prenne son parti, cet immense bonheur est inévitable.

Victor Hugo – Paris-guide de l’exposition universelle de 1869. I – L’avenir.

Scipion

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