La série de l’été 2017 (1) : le Petit Ruffin [fiction]

A priori, il n'est pas petit comme Sarkozy, mais pas grand non plus. Faut voir, je n'ai pas réussi à trouver sa taille sur internet. Si quelqu'un peut lui demander, ça serait bien.

Source : reveilcommuniste.fr.

Cet été, Démosthène 2012 a décidé de vous partager quelques contes, mythes et légendes à propos de nos politicien(ne)s, qui se transmettent de génération en génération dans les familles françaises (peut-être pas la vôtre, mais dans certaines familles en tout cas). Ne vous attendez donc pas à les retrouver dans les biographies officielles, qui ne disent jamais toute la vérité. Alors que la loi de confiance dans la vie démocratique vient d’être adoptée par l’Assemblée Nationale, il est temps de conter l’histoire d’un nouveau venu en politique, le député de la Somme François Ruffin*.

Il était une fois un patron du MEDEF et sa femme conseillère UMP du Vésinet, qui avaient sept cents salariés, tous des garçons (avec les garçons, pas de risque de congés maternité). Ils étaient fort riches, mais leurs sept cents salariés les incommodaient beaucoup, car tous étaient épris d’anarcho-syndicalisme grégaire. Ce qui les chagrinait encore, c’est que le plus jeune gueulait sans cesse pour un oui ou pour un non. Il était anticapitaliste, mais naquit pourtant d’un père cadre qui l’envoya dans le lycée privé catho de La Providence à Amiens (oui, ce lycée-là), ce qui fit que ses camarades prolétaires l’appelaient Le Petit Rupin (qui se transforma au cours des nombreuses réécritures de cette histoire en Le Petit Ruffin). Comme il était le plus avisé de tous les salariés, il fut élu délégué du personnel et causait bien du tort à son pauvre patron.

Il vint une année fâcheuse, où les hippies punks à chiens et les étudiants glandeurs en arts du spectacle démarrent un mouvement social qui frappa jusqu’à l’usine du patron du MEDEF. Un soir que les ouvriers étaient sur le piquet de grève en train de faire griller des saucisses bon marché, le patron dit à sa femme : «  Tu vois bien que cette grève ne peut plus continuer, mais que nous ne pouvons pas non plus leur accorder la sixième semaine de congés payés qu’ils demandent. Or, je ne saurais les licencier (rapport aux indemnités prudhommales pas encore plafonnées à l’époque), et je suis résolu à les mener perdre demain à la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Amiens-Picardie ». « Ah ! s’écria la conseillère UMP du Vésinet, pourrais-tu toi-même mener perdre tes salariés ? ». Son mari avait beau lui présenter son plan de downsizing, elle ne pouvait y consentir, car c’était elle qui avait dessiné leurs uniformes gris-autoroute. Cependant, ayant considéré quelle douleur financière ce serait de devoir les licencier, en  raison  des travaux d’agrandissement de la terrasse de leur résidence secondaire à Saint-Barth, elle y consentit, et alla se coucher en pleurant.

Le Petit Ruffin, ayant ouï tout ce qu’ils dirent grâce à son babyphone planqué dans le bureau du patron, ne dormit point du reste de la nuit, songeant à ce qu’il y avait à faire. Il se leva de bon matin, et alla au local syndical remplir ses poches de pages du code du travail. Le bus qui emmenait les sept cents salariés pour les négociations à la CCI partit (oui, c’était un très gros bus), et le Petit Ruffin ne dit rien de ce qu’il savait à ses frères, pour la frime. Ils se rendirent à la CCI d’Amiens-Picardie, qui était à l’époque et est toujours aujourd’hui un véritable dédale administratif où les employés sont toujours en RTT ou en congés formation. Le patron fit mine de sortir ses papiers, et ses employés se mirent en quête de café soluble Carrefour (ces gens-là n’ont aucun goût). Le patron et sa femme, les voyant occupés à faire marcher la cafetière, s’éloignèrent d’eux insensiblement, et puis s’enfuirent tout à coup par l’issue de secours, que le patron connaissait bien pour avoir fréquenté de nombreuses négociations collectives. Lorsque les salariés se virent seuls, ils se mirent à gueuler et à chanter L’Internationale. Le Petit Ruffin les laissait crier, sachant bien par où ils reviendraient à l’usine, car en marchant, il avait laissé tomber le long du chemin des pages du code du travail qu’il avait dans ses poches, et que le patron n’avait pas remarqué dans sa fuite, n’étant pas très au fait du droit du travail. Il mena donc ses camarades jusqu’à la sortie, avant de commander un uberPOOL pour rentrer au bercail.

Entretemps, le patron et sa femme avaient découvert dans leur boîte aux lettres que la Banque Publique d’Investissement leur avait accordé un crédit d’impôt certes inutile mais néanmoins pas piqué des vers. Cela leur redonna la vie, car le patron désespérait à en mourir de jamais pouvoir compléter sa collection d’encriers en cristal. Il envoya sa femme acquérir les produits de papeterie les plus luxueux de tout l’Amiénois, ce qui n’empêcha pas les comptes de l’entreprise de crever tous les plafonds. La conseillère UMP du Vésinet dit alors : « Hélas ! Où sont maintenant nos pauvres acteurs de la supply chain ! Ils feraient bonne chère d’une sixième semaine de congés payés. Mais aussi, Pierre, c’est toi qui les a voulu perdre ; j’avais bien dit que nous nous en repentirions. Que font-ils maintenant dans cette CCI ? Hélas ! Mon Dieu, peut-être sont-ils déjà en fin de droit ! Tu es bien inhumain d’avoir perdu ainsi ta manœuvre ! ». Elle le dit si haut, que les salariés qui étaient restés écouter à la porte, se mirent à crier tous ensemble : « Nous voilà ! Nous voilà ! ». Elle courut vite leur ouvrir la porte, et leur dit en les embrassant : « Que je suis aise de vous revoir, bande de garnements cégétistes ! ». Le patron leur accorda de mauvais gré une semaine supplémentaire de congés payés, mais la joie revint dans l’usine de fabrication de perturbateurs endocriniens, et cette joie durant tant que le crédit d’impôt dura. Lorsque le crédit d’impôt fut dépensé, ils retombèrent dans leur premier chagrin, et résolurent de les perdre encore une fois ; et pour ne pas manquer leur coup, de les mener bien plus loin que la première fois.

Ils ne purent parler de cela si secrètement qu’ils ne fussent entendus par le Petit Ruffin, qui se prépara à sortir ses camarades d’affaire comme il l’avait déjà fait la première fois. Mais quoiqu’il se fût levé de grand matin pour aller cueillir son code du travail, il ne put mener son projet à bien, car le patron du MEDEF avait fait demander l’allègement du code au bon Président de la République française, tant et si bien que le code du travail fut réduit à sa couverture. Il ne savait que faire lorsque, la dame patronnesse leur ayant donné à chacun quelques stock-options en compensation de leur semaine retirée, il songea qu’il pourrait se servir de ses stock-options au lieu de son code du travail. Le patron et la patronnesse les menèrent dans l’endroit le plus obscur qui soit, c’est-à-dire Bercy, où devait se dérouler une réunion tripartite sous l’égide du bon Ministre de l’Économie à propos des congés payés. Alors que le Ministre achalait les salariés à propos de la tringle à rideaux dans l’œuvre de Marcel Proust, les deux capitalistes en profitèrent pour s’éclipser par la porte de service, que le patron du MEDEF connaissait bien pour avoir souvent eu à régler quelques menus conflits avec l’administration fiscale. Le Petit Ruffin ne s’en chagrina pas beaucoup, parce qu’il croyait pouvoir aisément retrouver son chemin, par le moyen de ses stock-options qu’il avait semé partout où il était passé. Mais il fut bien surpris lorsqu’il ne put en retrouver la trace : des photos parues dans Closer du patron du MEDEF en compagnie de la femme du Président avaient entretemps considérablement fait baisser le cours de l’entreprise, tant et si bien que les stock-options avaient perdu toute leur valeur.

Les voilà donc bien affligés, car plus ils marchaient, plus ils s’égaraient, et s’enfonçaient dans l’enfer de Bercy. La nuit vint, et ils croyaient n’entendre de tous côtés que les hurlements de conseillers Pôle Emploi qui venaient à eux pour les déchoir de leurs droits. Ils glissaient à chaque pas, tombaient dans les fatras de recommandations de coupes budgétaires, d’où ils se relevaient tous crottés, ne sachant que faire de leurs mains. A force de marcher, les salariés virent une petite lueur comme d’une chandelle émanant du fond d’un couloir. Ils heurtèrent à la porte du bureau, et une femme à l’air déficitaire vint leur ouvrir. Elle leur demanda ce qu’ils voulaient, et le Petit Ruffin lui dit qu’ils étaient de pauvres petits salariés écrasés par la puissance symbolique de Bercy et qui demandaient à coucher par charité. Cette femme, les voyant tous si accablés par l’oppression du salariat, se mit à pleurer et leur dit : « Hélas ! Mes pauvres enfants, où êtes-vous venus ? Savez-vous bien que c’est ici la maison du Grand Capital qui broie tous les salariés ? ». « Hélas, madame, lui répondit le Petit Ruffin, qui tremblait de toute sa force aussi bien que ses camarades, que ferons-nous ? Il est bien sûr que les conseillers Pôle Emploi ne manqueront pas de nous déchoir de nos droits cette nuit si vous ne voulez pas nous retirer chez vous, et nous aimons mieux que ce soit le Grand Capital qui nous broie, peut-être aura-t-il pitié de nous si vous voulez bien l’en prier ».

La femme du Grand Capital, qui était, vous l’aurez compris, la Sécurité Sociale, crut qu’elle pourrait les cacher à son mari jusqu’au lendemain, les laissa entrer, et les mena se chauffer autour d’un bon feu de pneus, car il y avait un médecin du travail entier à la broche pour le souper du Grand Capital. Comme ils commençaient à se chauffer, ils entendirent heurter trois ou quatre grands coups à la porte : c’était le Grand Capital qui revenait. Aussitôt, la Sécu les fit cacher sous le lit (oui, c’était un grand lit, dans un grand bureau), et alla ouvrir la porte. Le Grand Capital demanda d’abord si le souper était prêt, et aussitôt se mit à table, où sa femme avait servi une bouteille de la cuvée Référendum d’entreprise 2002. Le médecin du travail était encore tout sanglant, mais il ne lui en sembla que meilleur. Mais le Grand Capital flairait à gauche et à l’extrême-gauche, disant qu’il sentait la chair fraîche. Il se leva de la table, et alla droit au lit. « Ah ! dit-il, voilà donc comme tu veux me tromper, maudite femme ! Je ne sais à quoi il tient que je ne te mange aussi : bien t’en prend d’être une vieille bête ».

Il les tira de dessous le lit, l’un après l’autre, et alla prendre un grand couteau. Il en avait déjà empoigné un, lorsque la Sécu lui dit : « Mais vous avez encore là tant de viande, dit la femme : voilà un gréviste, deux inspecteurs du travail et la moitié d’un représentant du personnel au CHSCT ». « Tu as raison, dit le Grand Capital : donne leur bien à souper, afin qu’ils ne maigrissent pas, et va les mener à coucher ». Puis le mari se remit à boire, une douzaine de coups de plus qu’à l’ordinaire, ce qui lui donna un peu dans la tête, et l’obligea de s’aller coucher. Le Grand Capital avait sept cents enfants : ces petits régimes spéciaux avaient tous le teint fort beau, parce qu’ils mangeaient des salariés frais, comme leur père. Ils n’étaient pas méchants, mais promettaient beaucoup, car ils mordaient déjà pour sucer le sang des honnêtes travailleurs. On les avait fait coucher de bonne heure, et ils étaient tous les sept cents dans un (très) grand lit, ayant chacun une calotte ecclésiastique sur la tête (car la religion est l’amie du Grand Capital). Il y avait dans la même chambre un autre lit de la même grandeur : ce fut dans ce lit que la Sécu mit à coucher les sept cents petits salariés, ayant chacun sur la tête un bob Ricard (le Petit Ruffin, qui n’était décidément pas chanceux pour un sou, avait hérité d’un bob Cochonou).

Le Petit Ruffin, qui avait remarqué que les enfants du Grand Capital avaient des calottes sur la tête, et qui craignait qu’il lui ne prît quelques remords de ne les avoir pas broyés dès le soir même, se leva vers le milieu de la nuit, et prenant les bobs de ses camarades et le sien, s’en alla tout doucement les mettre sur la tête des sept cents régimes spéciaux, et mit sur la tête de ses sept cents camarades les sept cents calottes (l’opération fut fastidieuse). La chose réussit comme il l’avait pensé, car le Grand Capital, s’étant réveillé sur le minuit, eut regret d’avoir différé au lendemain ce qu’il pouvait exécuter la veille. Il monta donc à tâtons dans la chambre de ses enfants, alla ensuite à leur lit, où ayant senti les bobs Ricard (ainsi qu’un bob Cochonou fort distinct des six cent quatre-vingt-dix-neuf bobs Ricard), dit : « Ah ! Les voilà nos gaillards, travaillons hardiment ». En disant ces mots, il coupa d’un geste la gorge de ses sept cents enfants (il avait une bonne allonge). Fort content de cette expédition, il alla se recoucher dans sa chambre.

Aussitôt que le Petit Ruffin entendit ronfler le Grand Capital, il réveilla ses camarades, et leur dit de s’habiller promptement et de le suivre. Ils sortirent doucement du bureau, et coururent presque toute la nuit dans les couloirs de Bercy, sans savoir où ils allaient, avant de se retrouver coincés devant la porte principale, qui était condamnée par le verrou de Bercy. Le Grand Capital, s’étant réveillé, dit à sa femme : « Va-t’en habiller ces petits drôles d’hier au soir ». La Sécu fut fort étonnée de la bonté de son mari, ne se doutant point de la manière qu’il entendait qu’elle les habille. Elle fut bien surprise lorsqu’elle aperçut ses sept cents régimes spéciaux décapités et nageant dans leur sang. Elle commença à s’évanouir et le Grand Capital, monté à sa suite, n’en fut pas moins étonné lorsqu’il vit cet affreux spectacle. « Ah ! Qu’ai-je fait là ? s’écria-t-il. Ils me le paieront, les malheureux ». Il jeta une potée d’eau dans le nez de sa femme, et l’ayant fait revenir, lui dit : « Donne-moi vite mon Passe-Partout, afin que j’aille les attraper ». Il se mit en campagne, et après avoir couru bien loin de tous les côtés, atteignit enfin la porte principale. Le Petit Ruffin, qui vit un espace de co-working proche de la porte, y fit cacher ses six cent quatre-vingt-dix-neuf camarades et s’y fourra aussi. Le Grand Capital, qui se trouvait fort las du long chemin qu’il avait fait inutilement (et qui était un peu feignant comme tous les rentiers), voulut se reposer, et alla s’asseoir par hasard sur l’espace de co-working où les salariés s’étaient cachés. Assommé de fatigue, le Grand Capital s’endormit avec force ronflements.

Le Petit Ruffin profita de cet instant pour dérober au Grand Capital son Passe-Partout. Sur la pointe des pieds, il se déplaça jusqu’à la porte principale, et ayant inséré Passe-Partout dans le verrou de Bercy, permit à tous ses camarades de s’enfuir promptement. Ils rejoignirent leur usine à la force de leur compte Uber, usine qui fonctionnait à présent grâce aux travailleurs détachés qui sont, comme chacun le sait, l’armée de réserve du capitalisme. Mais ayant fait sauter le verrou de Bercy, le patron du MEDEF ne bénéficiait plus de la protection du Ministère. Il fut donc forcé de régler ses impayés avec 80% de majoration, et de vendre son entreprise qui fut racheté par ses salariés et transformée en SCOP. Les salariés purent ainsi décréter les six mois de congés payés, et besognèrent heureux aussi longtemps que ne le permet un travail dans une usine de produits cancérogènes. L’histoire ne dit pas si la véranda de la villa de Saint-Barth fut terminée ou bien laissée en travaux.

Scipion

 * Cette histoire est une réécriture partielle du Petit Poucet dans l’édition 1902 des Contes de Perrault par Pierre Féron (voir le texte original). Elle reprend donc en grande partie la structure et le style de Perrault, certaines phrases étant retranscrites à l’identique (néanmoins, c’est plus fastidieux que ça n’en a l’air).

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