La série de l’été 2017 (3) : le vilain petit Benoît [fiction]

(Reuters)

Cet été, Démosthène 2012 a décidé de vous partager quelques contes, mythes et légendes à propos de nos politicien(ne)s, qui se transmettent de génération en génération dans les familles françaises (peut-être pas la vôtre, mais dans certaines familles en tout cas). Ne vous attendez donc pas à les retrouver dans les biographies officielles, qui ne disent jamais toute la vérité. Dans cet épisode, nous suivons Benoît Hamon, pauvre petite mouette délaissée, jusqu’à la fondation de son mouvement du 1er juillet.

Que la lande bretonne resplendissait à l’horizon ! On était au milieu de l’été, c’est-à-dire pas loin de l’hiver ; le lichen s’agitait nerveusement, les mouettes et les goélands suivaient les chalutiers avec ardeur et chapardaient sur les plages, crevant les yeux des petits enfants. Le cormoran se promenait élégamment en bavardant en tamoul, langue qu’il avait apprise de sa belle-mère qui avait combattu auprès des Tigres. Autour des roches granitiques et des falaises s’étendaient de grandes étendues désolées, parfois effleurées par un rayon de soleil voilé.

Oui, vraiment, la Bretagne était belle. Les rayons du soleil éclairaient toutes les deux heures un vieux domaine entouré de larges fossés, et de grands rosiers descendaient du mur jusque dans l’eau ; les branches étaient si hautes que les petits lutins pouvaient se cacher dessous, et qu’au milieu d’elles on pouvait trouver une solitude aussi sauvage que sur un îlot perdu au milieu du tumulte marin. Dans un de ces écrins, Martine la mouette avait établi son nid et couvait ses œufs ; il lui tardait bien de voir ses petits éclore. Elle ne recevait guère de visite ; car les autres aimaient mieux nager dans l’Aber Solferino que de venir à marée basse auprès d’elle. 

Enfin les œufs commencèrent à crever les uns après les autres ; on entendait « il faut réunir le Bureau ! » ; c’étaient les petites mouettes qui vivaient et tendaient leur cou au dehors.

« Une rose, une rose ! » dirent-elles ensuite, faisant tout le bruit qu’elles pouvaient. Elles regardaient de tous côtés sous les branches du rosier, et Martine les laissa faire ; car le rosier réjouit la mouette.

« Que le parti est grand ? » dirent les petites mouettes au sortir de leur œuf. 

– Vous croyez donc que c’est là tout le Parti ? dit Martine amusée. Oh ! Non, il s’étend bien plus loin, de l’autre côté des falaises, jusque dans l’Aber Wrac’h ; mais je n’y suis jamais allée. Etes-vous tous là ? continua-t-elle en se levant. Non, le plus gros œuf n’a pas bougé : Dieu ! Que cela dure longtemps ! J’en ai assez ». Elle se mit à couver d’un air contrarié.

– Eh bien ! Comment cela va-t-il ? dit le vieil Henri, qui était venu lui rendre visite.

– Il n’y a plus que celui-là que j’ai toutes les peines du monde à faire crever. Regardez un peu les autres : ne trouvez-vous pas que ce sont les plus gentilles mouettes qu’on ait jamais vues ? Elles ressemblent toutes d’une manière étonnante à leur père Michel ; mais le coquin ne vient pas même me voir.

– Montrez-moi cet œuf qui ne veut pas crever, dit Henri. Ah ! Vous pouvez me croire, c’est un œuf de macareux. Moi aussi j’ai été trompé une fois comme vous, et j’ai eu toute la peine possible avec le petit, car ces êtres-là sont de bien mauvais nageurs, je ne pouvais parvenir à le faire entrer dans l’eau. Que je le regarde encore : oui, c’est bien certainement un œuf de macareux. Laissez-le là, et apprenez plutôt aux autres enfants à nager.

– Non, puisque j’ai déjà perdu tant de temps, je peux bien oeuvrer pour le Parti et couver un ou deux jours de plus, répondit Martine.

– Comme vous voudrez, mais vous êtes bien trop dévouée », répondit Henri ; il s’en alla. Enfin le gros œuf creva. « Il faut réunir le bureau du MJS ! » fit le petit, et il sortit. Comme il était petit et vilain ! La mouette le regarda et dit : « Quel horrible mouette ! Elle ne ressemble à aucune de nous. Serait-ce vraiment un macareux ? Ce sera facile à voir : il faut qu’il aille à l’eau, quand je devrais l’y traîner ».

Le lendemain, il faisait un temps mitigé : le soleil rayonnait de temps à autre sur la lande ; Martine se rendit avec toute sa famille sur la falaise. « Platsh ! » et elle sauta dans l’eau. « Pour le Parti ! » dit-elle ensuite, et chacun de petits plongea l’un après l’autre, et l’eau se referma sur les têtes. Mais bientôt ils reparurent et nagèrent avec rapidité, les jambes allaient toutes seules et tous se réjouissaient dans l’eau, même la vilaine mouette grise. « Ce n’est pas un macareux, dit-elle. Comme il se sert habilement de ses jambes, et comme il se tient droit ! C’est mon enfant aussi, il n’est pas si laid, lorsqu’on le regarde de près. Je l’appelerai Benoît, comme l’Aber un peu biscornu d’à côté. Prenez une rose et venez avec moi : je vais vous faire faire votre entrée dans le monde et vous présenter au Bureau politique. Seulement ne vous éloignez pas de moi pour qu’on ne vous écrase pas, et prenez bien garde à Ségolène la sorcière ».

Ils entrèrent tous au Bureau, qui se tenait sur les bords de l’Aber Solferino.

Quel bruit on y faisait ! Deux familles (que l’on appelle des Courants) s’y disputaient une tête de bar Lionel, et à la fin ce fut la sorcière Ségolène qui l’emporta, soutenue par le goéland Jean-Christophe, qui savait toujours être du bon côté.

« Vous voyez comme les choses se passent dans le monde du Bureau » dit la mouette en aiguisant son bec ; car elle aussi aurait bien voulu avoir la tête du bar Lionel. « Maintenant, remuez les pattes, continua-t-elle ; tenez-vous bien ensemble et saluez le vieux Henri là-bas. Il est de race landaise, c’est pour cela qu’il est si distingué et remarquez bien ce ruban rose autour de sa jambe : c’est quelque chose de magnifique et la plus grande distinction que l’on puisse accorder à une mouette. Tenez-vous bien et ne mettez pas les pattes en dedans. Une mouette bien élevée écarte les pattes avec soin. Inclinez-vous et dites: « C’est la rose, l’important ». Les mouettes qui les entouraient disaient tout haut: « Mais qu’est-ce que c’est que ces nouvelles mouettes ! Cela fait dix ans qu’on attend de pouvoir obtenir une circonscription gagnable ! Fi, fi donc ! Et qu’est-ce que c’est que cette affreuse mouette grise ? Nous n’en voulons pas ». Et aussitôt une grande mouette se jeta sur lui et lui mordit au cou.

« Laissez-le donc, dit Martine, il ne fait de mal à personne.

– D’accord ; mais il est si étrange et si drôle, dit l’agresseur, qui s’appelait Manuel, qu’il a besoin d’être battu. Je ne comprends pas son langage, on dirait bien que ce n’est pas une mouette.

– Vous avez là de beaux enfants, la mère, dit le vieux au ruban rose. Ils sont tous gentils, excepté celui-là ; il n’est pas bienvenu. Il faudrait le refaire.

– C’est impossible ! dit Martine. Il n’est pas beau, c’est vrai, mais il a un si bon caractère ! Il me distrait beaucoup par sa conversation si originale, même si je ne saisis pas tout. Il s’entoure de bons amis. Je pense qu’il grandira joliment et qu’avec le temps il se formera. Il fera de bonnes études et servira le Parti avec ardeur. Il est resté trop longtemps dans l’oeuf, voilà tout.

Tandis qu’elle parlait ainsi, elle tirait son petit par le cou et lissait son plumage. « Du reste, c’est une mouette et la beauté ne lui importe pas tant. Elle deviendra forte et fera son chemin dans le monde. Mes petits, si vous trouvez une tête de bar, apportez-la-moi comme vous l’avez vu faire au Bureau. Mais le pauvre Benoît fut, pour sa laideur, mordu, poussé et bafoué, non seulement par les mouettes, mais aussi par les goélands et les puffins.

– « Il est trop petit, a une drôle de tête et parle bizarrement » disaient-ils tous, et Manuel qui était venu avec ses éperons catalans se gonfla toutes voiles dehors et marcha droit sur lui en grande fureur et rouge jusqu’aux yeux. Le pauvre Benoît ne savait s’il devait s’arrêter ou marcher : il eut bien du chagrin d’être si petit et laid et d’être bafoué par toutes les mouettes de la cour.

Voilà ce qui se passa dès le premier jour, et les choses allèrent toujours de pis en pis. Le pauvre Benoît fut chassé de partout. Ses sœurs mêmes, Najat et Marisol, étaient méchantes avec lui. « Que ce serait bien fait si la sorcière Ségolène t’emportait, vilaine créature ! ». Et la mère Martine disait : « Je voudrais que tu fusses bien loin ». Les mouettes le mordaient, les goélands le battaient, et même les enfants parisiens en vacances lui jetaient des pierres en ricanant et en agitant des drapeaux de la Manif pour Tous et de l’Action française. Il s’appelaient tous Tugdual, Jean-Eudes ou Domitille, il faut dire.

Alors il se sauva et prit son vol par-dessus la falaise. Les petits oiseaux qui nichaient alentour s’envolèrent de frayeur. « Et tout cela, parce que je suis vilain et que je parle des perturbateurs endocriniens, » pensa Benoît. Il ferma les yeux et continua son chemin. Il arriva ainsi au Grand Aber qu’habitaient les Mouettes Rieuses Insoumises. Il s’y coucha pendant la nuit, bien triste et bien fatigué.

Le lendemain, lorsque les mouettes rieuses se levèrent, elles aperçurent leur nouveau camarade.

« Qu’est-ce que c’est que cela ? » dirent-elles en ricanant : Benoît se tourna de tous côtés et salua avec toute la grâce possible.

« Tu peux te flatter d’être énormément laid ! dirent les MRI (Mouettes Rieuses Insoumises) ; mais cela nous est égal, pourvu que tu n’épouses personne de notre famille. » Le malheureux ! est-ce qu’il pensait à se marier, lui qui ne demandait que la permission de vivre parmi les siens, de chasser le bar Lionel et de boire de l’eau de l’étang tout proche ?

Des mouettes rieuses (insoumises)

Il passa ainsi deux journées. Alors arrivèrent dans cet endroit deux macareux écologistes, Julien (qui venait du bayou) et Yannick, qui animait les cafés citoyens près de l’aber Jadot. Ils n’avaient pas encore beaucoup vécu ; aussi étaient-ils très insolents.

« Écoute, camarade, dirent ces nouveaux venus ; tu es si vilain que nous serions contents de t’avoir avec nous. Veux-tu nous accompagner et devenir un oiseau de passage ? Ici tout près, il y a des folles de Bassan charmantes, presque toutes demoiselles, et qui savent bien chanter. Qui sait si tu n’y trouverais pas le bonheur, malgré ta laideur affreuse ! »

Tout à coup on entendit « pif, paf ! » et les deux folles tombèrent mortes dans les roseaux, et l’eau devint rouge comme du sang.

« Pif, paf ! » et des troupes de folles s’envolèrent des roseaux. Et on entendit encore des coups de fusil. C’était une grande chasse ; les chasseurs, certainement appelés par Manuel s’étaient couchés tout autour de l’aber ; quelques-uns s’étaient même postés sur des branches d’arbres qui s’avançaient au-dessus des joncs. Puis les chiens arrivèrent sur la jetée : « platsh, platsh ; » Quelle épouvante pour le pauvre Benoît! il plia la tête pour la cacher sous son aile ; mais en même temps il aperçut devant lui une grande chienne terrible et jaunâtre, aux yeux bleus de glace, qui s’appelait Marine  (c’était écrit sur son collier, et Benoît avait appris à lire tout seul grâce à sa collection de Martine) : sa langue pendait hors de sa gueule, et ses yeux farouches étincelaient de cruauté. La chienne tourna la gueule vers le caneton, lui montra ses dents pointues, lui demanda s’il était patriote et français d’abord. Il répondit que sans doute, il ne savait pas trop. « Mais pas mondialiste, tu dois savoir cela au moins ? » grogna-t-elle. « Ah non, pas mondialiste ! » répondit Benoît, pensant à ce que lui avait dit Jean-Luc Le Puffin lors de leurs interminables discussions. « Platsh, platsh, » elle alla plus loin sans le toucher.

« Dieu merci ! soupira Benoît; je suis si vilain que la chienne lui-même dédaigne de me mordre ! » Et il resta ainsi en silence, pendant que le plomb sifflait à travers les joncs et que les coups de fusil se succédaient sans relâche. Vers la fin de la journée seulement, le bruit cessa ; mais le pauvre petit Benoît n’osa pas encore se lever. Il attendit quelques heures, regarda autour de lui, et se sauva de l’aber aussi vite qu’il put. Il passa au-dessus des champs et des prairies ; une tempête furieuse l’empêcha d’avancer. Sur le soir, il arriva à une misérable cabane de pierre, un ancien moulin sans doute. La tempête soufflait si fort autour de Benoît qu’il fut obligé de s’arrêter et de s’accrocher à la cabane : tout allait de mal en pis.

Alors il remarqua qu’une porte avait quitté ses gonds et lui permettait, par une petite ouverture, de pénétrer dans l’intérieur : c’est ce qu’il fit.

Là demeurait la charmante Cécile Décroissante (c’était écrit sur la cabane, « Cabane de Cécile Décroissante, ne pas entrer, réunion à huis clos ») avec son petit chat qu’elle appelait Arnaud Montebourg (parce qu’il montait souvent au bourg) et sa poule Raquel . Le lendemain elle s’aperçut de la présence de Benoît. Le matou commença à gronder. « Qu’y a-t-il ? » dit Cécile en regardant autour d’elle. Cécile avait besoin de lunettes et prit Benoît pour une cane. « Voilà une bonne prise, dit-elle : j’aurai maintenant des œufs de cane. Pourvu que ce ne soit pas un canard ! Cela pourrait m’aider pour avoir une circonscription sûre. Enfin, nous verrons. » Elle attendit pendant trois semaines ; mais les œufs ne vinrent pas. Benoît discutait beaucoup avec Cécile, Arnaud et Raquel, il avait enfin trouvé une oreille attentive à ses grandes idées sur le monde. Ils comprenaient le danger des perturbateurs endocriniens qui se déversaient dans leur milieu naturel, s’enthousiasmaient pour le Revenu Universel Volant (RUV) et craignaient beaucoup les Oiseaux Automatiques qui avaient été introduits par le Consortium Volatile dans la région. Ils ne se moquaient pas. Au contraire, ils le renforçaient dans ses convictions, les étayant, rédigeant de grands discours qu’ils voulaient distribuer dans tout le canton. Mais ils voulaient qu’il ponde des œufs, et il n’y parvenait pas malgré toute sa bonne volonté.

« Sais-tu pondre des œufs ? demanda Raquel.

Non.

Eh bien ! alors, tu auras la bonté de te taire. »

Et Arnaud le questionna à son tour : « Sais-tu faire le gros dos ?

Non.

Alors tu n’as pas le droit d’exprimer une opinion, quand les gens raisonnables causent ensemble. » Et pour causer, Arnaud s’y entendait. Il passait son temps à courir au bourg pour défendre ses congénères injustement accusés de chaparder dans les étables.

Et Benoît se coucha tristement dans un coin ; mais tout à coup un air vif et la lumière du soleil pénétrèrent dans la chambre, et cela lui donna une si grande envie de nager dans l’eau de l’Aber Primaire qu’il ne put s’empêcher d’en parler à la poule Raquel.

« Qu’est-ce donc ? dit-elle. Tu n’as rien à faire, et voilà qu’il te prend des fantaisies. Ponds des œufs ou fais ron-ron, et ces caprices te passeront. C’est de toute façon Jean-Luc qui porte un véritable projet, il est porté par l’énergie par les Mouettes Rieuses Insoumises. Tu n’as pas son souffle lyrique et tu es bien laid, mon pauvre Benoît.

C’est pourtant bien joli de nager sur l’eau de l’Aber Primaire, dit le petit Benoît ; quel bonheur de la sentir se refermer sur sa tête et de plonger jusqu’au fond !

Ce doit être un grand plaisir, en effet ! répondit la poule. Je crois que tu es devenu fou. Demande un peu à Arnaud, qui est l’être le plus raisonnable que je connaisse, s’il aime à nager ou à plonger dans l’eau. Demande même à Cécile, qui sait tout sur tout  ; crois-tu qu’elle ait envie de nager et de sentir l’eau se refermer sur sa tête ?

Vous ne me comprenez pas.

Nous ne te comprenons pas ? mais qui te comprendrait donc ?

Je ne veux pas parler de moi. Je veux servir le Parti, le rénover, en permettant à tous les oiseaux de s’exprimer sur la politique à suivre. Je veux défendre ces idées que nous avons en commun, qu’elles puissent enfin s’épanouir dans le débat public. Martine me trouve un peu fantasque mais je sais qu’elle me soutiendra, et tant d’oiseaux sont de mon avis mais n’osent pas le dire.

Ne t’en fais pas accroire, enfant, mais remercie plutôt le créateur de tout le bien dont il t’a comblé. Tu es arrivé dans une chambre bien chaude, tu as trouvé une société dont tu pourrais profiter, et tu te mets à raisonner jusqu’à te rendre insupportable. Ce n’est vraiment pas un plaisir de vivre avec toi. Crois-moi, je te veux du bien ; je te dis sans doute des choses désagréables ; mais c’est à cela que l’on reconnaît ses véritables amis. Suis mes conseils, et tâche de pondre des œufs ou de faire ron-ron. La politique, laisse-la à ceux qui savent la faire et ne t’en occupe pas plus que cela.

Je crois qu’il me sera plus avantageux de faire mon tour dans le monde et de tenter l’Aber Primaire, répondit le petit Benoît. C’est un futur bien plus désirable.

Comme tu voudras

Et Benoît s’en alla nager et se plonger dans l’eau ; mais tous les animaux le méprisèrent à cause de sa laideur. L’automne arriva, les feuilles de la forêt devinrent jaunes et brunes : le vent les saisit et les fit voltiger. En haut, dans les airs, il faisait bien froid ; des nuages lourds pendaient, chargés de grêle et de neige. Une fois, Benoît avait pris la parole en Assemblée du Parti. Les Volatiles Réunis avaient applaudi à tout rompre, il s’était trouvé des soutiens, on trouvait même des groupes intitulés : « Les Volatiles Marins avec Benoît, pour un futur désirable » mais le Bureau se moquait un peu de lui. Du haut de son promontoire, François lui-même, le Sage, ne le soutenait que du bout des lèvres. Jean-Luc, de son côté, faisait bande à part et jouait double jeu : il faisait mine de l’apprécier, alors qu’en petit comité il ne cessait de le critiquer. Le chat Arnaud, après avoir chanté ses louanges lors de son discours, disait au bourg que le petit Benoît était bien gentil, mais que ce n’était pas avec de belles idées que quoi que ce soit allait changer dans la contrée. La belle Cécile elle-même hésitait à dire qu’elle l’appréciait. Il n’y avait guère que sa mère Martine qui le soutienne, mais c’était sa mère, après tout. Partout on disait à Benoît que ses projets étaient ridicules, irréalistes, que l’Aber Primaire avait beau avoir vu le jour (il avait au moins réussi cela), aucun problème n’était réglé pour autant. Le pauvre Benoît n’était, en vérité, pas à son aise.

Lors des élections de l’Aber Glorieux, Benoît se présenta malgré tout. Il sentait qu’il ne pouvait gagner, toutefois l’échec fut retentissant. Manuel avait passé son temps à le trahir avec une remarquable constance, complotant sans cesse : il était parvenu à réunir une partie du Bureau dans une fronde opposée à sa candidature. Un jeune cygne semblait recueillir tous les suffrages, un certain Emmanuel qu’il avait déjà rencontré. Il portait beau, il était charmant, il n’avait pas vraiment d’idées mais que faire ? Les habitants de la contrée ne voulaient pas de changement, à ce qu’il semblait. Ils voulaient un « proooojeeet », comme le prononçait Emmanuel Cygne. C’était toujours mieux que Marine la Chienne, qui voulait construir des barbelés jusque sur les falaises pour empêcher les oiseaux d’outre-contrée de nicher mais où était l’idéal, l’enthousiasme et la jeunesse d’esprit dans tout cela ? Benoît finit par devenir cafardeux, ce qui allait à l’encontre de son optimisme naturel. Il voulait retourner voir Martine, sa mère, et même ses frères et sœurs lui manquaient. Mais ils l’avaient tous trahi (sauf Martine, qui lui avait envoyé un message transmis par Cécile, car sa mère ne pouvait se déplacer, elle avait un vilain mal de dos et le repos lui était prescrit).

Un soir que le soleil se couchait glorieux, toute une foule de grands oiseaux superbes sortit des buissons ; Benoît n’en avait jamais vu de semblables. C’étaient des sternes. Le son de leur voix était tout particulier : ils étendirent leurs longues ailes éclatantes pour aller loin de cette contrée chercher des bars Lionel de plus en plus loin en mer. Ils montaient si haut, si haut, que le petit Benoît en était étrangement affecté ; il tourna dans l’eau comme une roue, il dressa le cou et le tendit en l’air vers les sternes voyageurs, et poussa un cri si perçant et si singulier qu’il se fit peur à lui-même. Il ne savait comment s’appelaient ces oiseaux, ni où ils allaient ; mais cependant il les aimait comme il n’avait encore aimé personne.

Et l’hiver devint bien froid, bien froid ; Benoît nageait toujours à la surface de l’eau pour l’empêcher de se prendre tout à fait ; un jour toutefois il s’épuisa tellement qu’il lui fut impossible de s’envoler. Il était perdu sur l’eau, dans la tempête. Un pêcheur, Raphaël, qui passait par là vit ce qui se passait ; il s’avança et emporta Benoît chez lui pour le donner à sa femmet se mit à lui parler philosophie. Là, il revint à la vie et s’échappa. Il était couché dans le lichen lorsqu’un jour le soleil commença à reprendre son éclat et sa chaleur. Il faisait un printemps délicieux, c’est-à-dire qu’on apercevait le soleil par intermittence et qu’il pleuvait rarement. Et bientôt Benoît se trouva dans un grand jardin d’un lieu qu’on appelait l’Aber Reuilly, où les pommiers étaient en pleine floraison, où une foule se pressait autour de stands de merguez et de frites, au milieu de jolies mares de boue. Benoît avait très envie d’un kebab marin. Comme tout était beau dans cet endroit ! Comme tout respirait le printemps !

Et des profondeurs du bois sortirent des sternes magnifiques. Ils s’envolèrent vers un genre de grande estrade, où ils se posèrent majestueusement. « Je veux aller les trouver, ces oiseaux royaux ; ils me tueront, pour avoir osé, moi, si vilain, m’approcher d’eux ».

Il s’élança dans la boue et nagea à la rencontre des sternes. Ceux-ci l’aperçurent et se précipitèrent vers lui les plumes soulevées. « Tuez-moi, » dit le pauvre animal ; et, penchant la tête vers la surface de l’eau, il attendait la mort. Mais que vit-il dans l’eau transparente ? Il vit sa propre image au-dessous de lui : ce n’était plus un oiseau mal fait, un macareux vilain et dégoûtant, il était lui-même une sterne ! Maintenant il se sentait heureux de toutes ses souffrances et de tous ses chagrins.

Une sterne (Wikipedia)

Des enfants coururent à leur père et à leur mère annoncer qu’il y avait une nouvelle sterne, et revinrent encore jeter des merguez et des frites et ils dirent tous : « Le nouvel oiseau est le plus beau ! Qu’il est jeune ! qu’il est superbe ! » Et les vieilles sternes s’inclinèrent devant lui : il y avait là Dominique, Régis, Barbara et Guillaume, ses nouveaux amis. Même Cécile était venue. Arnaud boudait dans son coin, mais c’était un chat, après tout. Certes, Raquel avait rejoint Alexis le Coq auprès de Jean-Luc et Henri était mort, fauché par son grand âge. Tous ses autres amis étaient là, au milieu d’une foule de tous les oiseaux de tous les Abers et du Large et même d’Estonie. Tous là pour lui !

Il ne savait comment se tenir, car c’était pour lui trop de bonheur. Mais il n’était pas fier. Un bon cœur ne le devient jamais. Il songeait à la manière dont il avait été persécuté et insulté partout, et voilà qu’il les entendait tous dire qu’il était le plus beau de tous ces beaux oiseaux ! Quelque chose était en train de naître, une refondation, un nouveau départ. Il décida de quitter sur le champ le Parti, celui de Martine, d’Henri et des autres mouettes, de jeter là tout ce qu’il avait été, ou cru être, auparavant, lorsqu’il était encore une mouette. Un nouveau mouvement allait naître, plus solidaire, un mouvement des Volatiles Citoyens qui, dans chaque Aber, prendraient leur destin en main, proposerait des solutions, débattraient sans exclusive.

Lorsqu’il prit la parole, le soleil répandit une lumière si chaude et si bienfaisante ! Alors ses plumes se gonflèrent, son cou élancé se dressa, et il s’écria de tout son cœur : « Comment aurais-je pu rêver tant de bonheur, pendant que je n’étais qu’une vilaine petite mouette ? Je veux faire de ce mouvement ce que le printemps fait aux cerisiers. »

Agrippine

Librement inspiré du conte d’Andersen (1876) que l’on peut lire ici.

 

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