Qui a peur de l’islamophobie ?

Crédits : AFP/Geoffroy Van Der Hasselt. Source : leparisien.fr. Marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019.

On pensait qu’on en avait fini, que la période des attentats de 2015 et 2016, avec son lot de débats fumeux sur la laïcité, l’islam, le communautarisme, la radicalisation et le terrorisme s’était refermée pour le reste de la décennie, qu’on allait enfin pouvoir passer à des sujets plus importants, plus cruciaux pour l’avenir du pays. Malgré le score élevé de Marine Le Pen, la campagne de 2017 et les deux premières années du quinquennat Macron ont été marquées par des sujets économiques et sociaux, voire écologiques, davantage susceptibles d’influencer – en bien ou en mal – le quotidien des Français(es). Mais voilà que l’exécutif, encouragé par sa percée dans l’électorat de droite, a relancé un « débat sur l’immigration » qui n’a fait qu’ameublir le terrain médiatique pour le sillon de l’extrême-droite. Ainsi, quand un incident de séance au sein du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté a suscité l’indignation générale contre le conseiller RN qui s’en est pris à une femme voilée assistant sagement à une délibération démocratique Lire la suite

Bac 2019 : entre mépris et méprise

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AG des correcteurs d’Ile-de-France à la Bourse du Travail

Jean-Michel Blanquer peut bien se réjouir sur les plateaux, tancer les quelques minoritaires irresponsables qui font bien peu de cas de leurs élèves et de leur devoir de fonctionnaire, ce bac 2019 restera dans les mémoires comme celui de la honte, du mensonge et du mépris.

Du côté des jurys de baccalauréat, chargés de valider et d’ « harmoniser » les notes, on n’avait jamais vu cela, ni même imaginé que cela soit possible. Lire la suite

Un changement d’ère ? La politique et la « post-vérité »

Si l’on en croit à peu près tout le monde (d’après un sondage effectué par l’auteur sur des articles qu’il se souvient vaguement avoir lu), nous serions dans une ère « post-vérité », « post-factuelle », où l’on respirerait des « fake news » comme de mauvais effluves de saucisse grillée dès les premiers jours de l’été. Epoque caractérisée par une indifférence à la vérité où les plus grands de ce monde peuvent débiter d’éhontés mensonges sans que leur peuple ne sourcille, elle aurait émergé avec les théories complotistes du 11-Septembre pour continuer jusqu’aux Gilets Jaunes pendus aux lèvres de facebookers avides d’attention, après un passage par les Trump, Orban et autres figures de la droite basse du front. Alors certes, on pourrait rétorquer qu’il n’y a jamais eu d’ère de la vérité, et qu’on n’a jamais vu le tribunal populaire condamner à mort un politique pour une semi-vérité propagandiste assénée un peu lestement, et pourtant Dieu sait qu’il y en a eu. Pour tout un tas de raisons, les électeurs Lire la suite

Peut-on encore parler race et racisme dans la France d’aujourd’hui ?

Nicolas Sarkozy à la cité des 4000 (La Courneuve) le 29 juin 2005. Crédits : Photo Jack Guez/AFP

Si le mouvement #metoo ressemble aujourd’hui à une prise de conscience internationale qui s’étend de la Californie jusqu’aux plus modestes quartiers français, toutes les remises en question de la société américaine n’ont pas encore traversé l’Atlantique. Jadis parmi les pays les plus impliqués dans la question sociale, aujourd’hui plutôt réceptive à la question sexuelle, la France reste toujours largement hermétique à la question raciale. Depuis la prise  de conscience des années 70-80 sur la responsabilité de l’Etat et de la société françaises dans l’extermination collaborationniste des Juifs de France et sur l’ampleur des discriminations subies par les immigrés post-coloniaux et dénoncée par la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, le soufflé est largement retombé et on assiste même à une marginalisation de l’antiracisme au profit de tendances anti-immigrés et anti-islam, si tant est qu’il s’agisse de deux choses différentes. Alors que l’éradication du racisme ne semble plus faire partie des grands idéaux de la gauche et que partout ailleurs, toute évocation de la question raciale apparaît comme un cadeau fait aux ennemis de la Nation, le débat public et intellectuel se sature de concepts-attrape-nigauds Lire la suite

« Ça va mieux, ton père ? » : quand papa n’est plus dans le coup, chroniques d’EHPAD

couv goyetDans son essai « Ça va mieux, ton père ? », Mara Goyet tente à la fois un rapprochement et une mise à distance : évoquer un père qui n’est plus depuis longtemps celui qu’elle a connu mais aussi s’en éloigner, pour tenter d’appréhender les effets de la maladie sur l’entourage, sur la vision du monde, des autres, de l’existence. Lire la suite

Le débat sur l’extension de la PMA est-il éthique ?

Crédits : Séverin Millet. Source : lemonde.fr

L’extension de la PMA aux couples lesbiens a ceci de particulier qu’elle apparaît comme l’une des mesures les plus évidentes au regard des évolutions de la société et du droit, alors qu’elle est au contraire l’une des propositions qui suscite le moins de courage politique chez les décideurs français. François Hollande avait déjà à deux reprises raté l’occasion de la faire voter : une première fois en même temps que la loi Taubira de 2013, craignant que la « PMA pour toutes » ne bloque le « mariage » et « l’adoption pour tous » (ce qui n’a cependant pas empêché les participants de la Manif pour tous de la considérer comme déjà actée) ; une deuxième fois en février 2014, reculant devant 100.000 Versaillaises à serre-tête descendues dans la rue. L’opposition à l’égalité des droits entre homosexuel(le)s et hétérosexuel(le)s, d’une virulence et d’une ampleur inédites en Europe, avait alors réussi à repousser le sujet jusqu’à nouvel ordre, avec un gouvernement socialiste visiblement traumatisé par les manifestations de l’hiver 2013. Lire la suite

Génération « J’ai le droit » de Barbara Lefebvre [critique]

Génération « j’ai le droit » : La faillite de notre éducation [1] est paradoxalement un ouvrage résolument moderne. En nous expliquant en long, en large et en travers comment la modernité a tué l’école publique, Barbara Lefebvre s’inscrit dans la très médiatique lignée des essayistes atteints de polonyte aiguë, et dont l’auditoire coléreux n’est jamais aussi content que quand arrive un nouvel enseignant pour cracher sur ses gauchistes de collègues. Pour situer l’auteure, Barbara Lefebvre est enseignante d’Histoire-Géographie depuis 1998, fut quelques années membre du Haut Conseil à l’Intégration et a écrit ou co-écrit une demi-douzaine de livres sur l’école et « les problèmes d’intégration » (pour le dire pudiquement). S’étant faite connaître en 2002 pour sa contribution aux Territoires perdus de la République, elle a également Lire la suite

2018, la fin de la domination masculine ?

Crédits : BERTRAND GUAY/AFP. Source : sudouest.fr, « Harcèlement sexuel, le tabou vacille »

Parmi les différents faits et phénomènes de société qui ont émaillé l’année 2017, pas un n’aura davantage fait parler de lui, n’aura davantage incarné le changement d’époque auquel nous assistons que l’affaire Harvey Weinstein et ses innombrables rejaillissements. Les multiples accusations contre des hommes publics et de pouvoir et les hashtags #balancetonporc et #metoo ont été tant commentés qu’il ne s’agira pas ici de revenir dessus à proprement parler. Il sera plutôt question, étant donné le (maigre) recul dont nous bénéficions aujourd’hui sur ce phénomène qui fait encore couler beaucoup d’encre, de s’interroger sur les débats suscités quant à sa pertinence, son bien-fondé et ses éventuelles complications et surtout sur notre capacité collective à transformer ces scandales en cascade en un projet politique de changement de société. Lire la suite

La méthode Blanquer pour une école à l’ancienne ?

Le visage du bonheur. Crédits : REUTERS/Charles Platiau pour RFI

A peine remis d’un scandale sur le choix d’un chant arabo-andalou pour le cours de musique d’un collège des Alpes-Maritimes – scandale de nature à nous faire sérieusement douter de la santé mentale de notre époque – Jean-Michel Blanquer remettait les pendules des écoles à l’heure avec trois propositions rappelant les priorités de son ministère : l’interdiction des portables à la cantine et dans la cour de récréation, la généralisation des chorales dans toutes les écoles primaires et collèges et la mise en place « d’unités laïcité » (sortes de « référents laïcité » en grappes). Ces annonces sont dans la droite lignée de la politique Blanquer, faite de petites idées « de bon sens » égrenées par-ci par-là en attendant les plus gros morceaux comme la réforme du baccalauréat. Lire la suite

Panique dans le 16e ! des Pinçon-Charlot [critique]

https://www.lavillebrule.com/Themes/v1/media/livre_visuel_215.jpegLa rentrée littéraire valant aussi pour les ouvrages politiques, ce n’est pas le choix qui manquait pour se mettre sous la dent quelque chose à critiquer : les innombrables chroniques d’une campagne que tout le monde a déjà envie d’oublier, les incalculables biographiques de Chirac qui ressemblent davantage à des nécrologies précoces, les dispensables ouvrages sur le péril islamo-fasciste à nos portes (celui de Lydia Guirous étant sans doute le plus savoureux), un intriguant livre de Yanis Varoufakis sur les coulisses de l’Eurogroupe (mais se coltiner 300 pages de récit sur la restructuration de la dette grecque demande quand même une certaine abnégation) et même le livre de Ségolène Royal que vous pouvez retrouver dans les plus sombres tréfonds des rayonnages de la Fnac, mais dont l’achat constitue un acte de charité. A la place, nous avons choisi un objet intriguant, une « enquête sociologique et dessinée » des Pinçon-Charlot sur l’installation d’un centre pour sans-abris aux abords du bois de Boulogne [1]. Lire la suite