Bande dessinée : La Présidente [critique]

Afficher l'image d'origineOn peut dire que le pari de François Durpaire était risqué : faire une bande-dessinée de politique-fiction relatant les premiers mois de la France sous une présidence frontiste. L’ouvrage, La Présidente*, pourtant épais (environ 150 pages) et parfois très dense textuellement parlant, n’évoque pourtant qu’une période allant du second tour de la présidentielle de 2017 à Février 2018 et ne fait qu’effleurer nombre de sujets pourtant cruciaux (comme la politique étrangère, éducative ou culturelle) pour privilégier une ambiance, renforcée par le choix du noir et blanc qui rappelle un peu Persépolis, où Marjane Satrapi décrivait son enfance dans l’Iran de l’après-révolution islamique. Disons-le tout de go, ce « document graphique » est fait pour desservir Marine Le Pen, qui plongerait/plongera le pays dans un climat anxiogène encadré par une surveillance généralisée de la population, l’ouvrage se considérant comme une « alternative réaliste » à « l’image radieuse » que donne le FN de son propre programme. Pouvait-il en être autrement venant de François Durpaire, historien et militant antiraciste qui représente sans doute tout ce que le Front National déteste ? Malgré le sous-titre (« Maintenant, vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas »), l’auteur a eu pour ambition de produire un scénario objectif qui découlerait d’une application rigoureuse du programme frontiste de 2017 (enfin, de 2012, même s’il n’aura sans doute pas beaucoup changé entretemps), experts à l’appui – à savoir par exemple Emmanuel Lechypre pour l’économie ou encore Ulysse Gosset pour la politique étrangère, tous deux mis en scène dans la bande-dessinée tout comme François Durpaire, dans un petit élan de mégalomanie. Autant il est possible de se faire plaisir quand on n’est pas tenu par un quelconque réalisme, autant l’exercice de politique-fiction peut être dangereux quand il se prend au sérieux.

Et là réside peut-être le péché originel du projet : François Durpaire n’évoque pas pas l’élection de Marine Le Pen comme une hypothèse parmi d’autres mais comme la plus probable, avec comme argument qu’il avait prédit celle d’Obama en 2007 quand tout le monde voyait Hillary Clinton gagnante (même s’il y a une légère différence entre élire un Président noir pour la première fois aux Etats-Unis et élire une Présidente d’extrême-droite en France). Or, quand on constate, un mois après la parution de la BD que la présidente du FN n’a déjà pas été élue à la tête de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie comme prévu dans l’ouvrage … L’auteur pose quatre présupposés à la victoire de Marine Le Pen : celle de Nicolas Sarkozy à la primaire LR (possible, surtout si l’on en croit une tribune de Thomas Wieder dans Le Monde : « A seize mois de l’élection, méfiez-vous des pronostics« ), la candidature de François Bayrou (quasiment certaine dans ce cas) et une candidature dissidente à droite, en l’occurrence celle de François Fillon (hautement improbable), l’élimination de Nicolas Sarkozy par conséquent au premier tour (même dans ce cas, assez improbable) et finalement de très faible reports de voix de droite sur François Hollande (ici plutôt probable, même si les régionales ont dévoilé des mécaniques de mobilisation d’abstentionnistes importantes). Mais l’exercice est intrinsèquement porteur d’hypothèses hasardeuses, donc il n’y a pas lieu de tenir rigueur au livre de ses petites fantaisies.

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Crédits : lecourrierdelatlas.com

François Durpaire nous fait vivre ce début de quinquennat à travers le prisme d’une cellule familiale composée d’Antoinette, ancienne résistante, de ses deux petits-fils, Stéphane (blogueur sur résistance.fr) et Tariq, ainsi que Fati, immigrée sénégalaise qu’elle héberge et en attente de renouvellement de ses papiers (certes, on voit venir le truc d’assez loin). Cette histoire parallèle permet à l’auteur de faire passer ses discours et arguments de manière parfois discrète, parfois maladroite, et d’envisager quelles conséquences auraient les mesures frontistes sur la population, de mettre des visages sur les chiffres. Pourtant, ce fil rouge ne fait qu’être survolé et lasse vite car on s’intéresse en achetant la BD principalement à la figure de Marine Le Pen. Justement, si le nom de la Présidente est omniprésent, le personnage parlant et agissant n’apparaît qu’à peine dans une page sur cinq. Le principal problème de l’ouvrage est qu’il décrit largement plus le pouvoir frontiste à travers les médias que de l’intérieur. Les médias (spéciale dédicace à BFM et i-Télé) sont deux fois plus présents que le personnage de Marine Le Pen : le parti pris de regarder le Front National à travers la société aurait pu être intéressant, mais il ne s’agit ici que de le regarder à travers une histoire familiale sous-développée et des médias strictement informatifs. Alors que l’exercice de politique-fiction permet justement de se déplacer partout dans l’espace et le temps sans limitation, La Présidente se prive pourtant de cette liberté.

L’ouvrage aborde intelligemment certains pans de l’idéologie et de la tactique marinistes trop peu investigués. Premièrement, le référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie qui devra advenir d’ici 2018 et auquel Marine Le Pen s’opposera bien entendu – ceci étant dit, elle ne serait sans doute pas la seule à s’y opposer, ni la seule à s’y opposer de manière peu subtile, quand on voit la gestion de la prise d’otage d’Ouvéa par le gouvernement Chirac. Deuxièmement, la réévaluation des dettes privées en raison du passage de l’euro à un franc (dévalué), qui contourne sans y répondre celui de la dette publique, Jacques Sapir ayant trouvé comme « astuce » que 85% de la dette de l’État français est sous contrat français**. Troisièmement, le risque d’étouffement du service public audiovisuel par l’État en le poussant à de grandes grèves qui le ruinerait, ce qui peut sembler un peu puéril de la part de Marine Le Pen mais qui demeure possible tant la haine à l’égard des journalistes semble grande. Quatrièmement, la BD postule l’arrestation massive de rappeurs pour incitation au terrorisme (dont Soprano ou Kerry James). A notre connaissance, aucun intention de la sorte n’a été formulée par les dirigeants du Front National, mais d’une part quelques discours frontistes se sont fait entendre sur le sujet et d’autre part cela correspond bien à l’idéologie du parti, qui veut que des discours contestataires ou borderline puissent pousser à des actions terroristes ou de déstabilisation de l’État. Enfin, l’ouvrage aborde, même de manière superficielle, la libération de la parole et de l’action raciste, en l’occurrence policière. Cette variable, une des moins quantifiables malheureusement, sera(it) sans aucun doute la plus contributrice, peut-être même davantage que l’action du gouvernement, au climat anxiogène que décrit la BD.

Toutefois, le document n’évite pas de nombreux clichés sur le sujet. L’aparté pédagogique consacré à l’histoire du Front National l’est essentiellement par les différents dérapages de Jean-Marie Le Pen et ses liens avec le pétainisme. Lors des déclarations post-second tour, nous faisons le tour des principaux responsables, parmi lesquels Jean-Luc Mélenchon dont le coeur saigne tous les ans, Cécile Duflot en plein déni, qui parle d’environnement, Arnaud Montebourg qui se voit en en prophète de l’apocalypse de la désindustrialisation, Nadine Morano qui s’en prend aux femmes en niqab de la gare du Nord … Plus loin, on retrouve Alain Finkielkraut et Florent Pagny à la garden party de l’Elysée, le premier au motif qu’il affirme que seul le FN ose parler des vrais problèmes et ce même s’il l’a qualifié de parti « démagogique et bonapartiste » en souhaitant qu’il n’arrive jamais au pouvoir, et le second au motif qu’il a regretté il y a cinq ans que les enfants parlent « rebeu » en rentrant à la maison, avant de s’excuser. Quant au blogueur Stéphane, il finit par ne plus communiquer qu’à l’écrit, la DGSI s’étant transformé en Stasi vichyste. Plus que les clichés, ce sont les incongruités du scénario qui font osciller en permanence l’oeuvre entre fiction et essai politique. Il s’agit par exemple de la soumission totale de la moitié des députés LR qui permet à Marine Le Pen d’obtenir les moyens de sa politique, en écrasant totalement son Premier Ministre Gérard Longuet. Le carriérisme de certains justifierait bien des reniements, mais n’irait pas jusqu’à pousser Gilbert Collard hors du gouvernement ou de asseoir Philippot au perchoir de l’Assemblée juste pour contrôler les députés. Les fantasmes de l’auteur touchent également le culte de la personnalité – le buste de Marianne serait alors à l’effigie de Marine Le Pen – ou la suppression du Conseil Constitutionnel – cette institution, bien que toujours suspecte d’être aux mains du pouvoir, n’ayant jamais fait l’objet de proposition de suppression, simplement de modification des règles de nomination pour plus d’indépendance. Zemmour se retrouve propulsé à la tête du Figaro simplement sur ordre de l’Élysée (apparemment, la fille fait avec Serge Dassault ce que le père a fait avec Hubert Lambert) et la Présidente contrôle désormais TF1 par l’opération du Saint-Esprit. Dans tout ce fatras, le plus invraisemblable est que Nadine Morano soit qualifiée de « prise de choix » et que Houellebecq apparaisse en smoking à l’Élysée …

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Crédits : telerama.fr

Enfin, abordons la question des graphismes. Farid Boudjellal a choisi un style que l’on pourrait qualifier de « photo-réaliste », c’est-à-dire le dessin par-dessus des photographies déjà existantes, tout en noir et blanc. Ce choix, en plus de contribuer à l’ambiance, nous permet de reconnaître de nombreux personnages qui n’ont pas besoin d’être désignés explicitement (Finkielkraut, Houellebecq, Elisabeth Lévy, Eric Besson entre autres), mais se permet par la même occasion de faire l’impasse d’explications sur des personnalités méconnues (qui connaît par exemple Valérie Laupies, conseillère éducation de Marine Le Pen ?) qui ne parleront qu’aux spécialistes du FN, le but de la BD étant justement de s’adresser à « ceux qui ne savent pas ». Néanmoins, il suffit que les visages ne soient pas exactement de face pour que le dessin dérape, et bien peu de cases rendent justice à Marine Le Pen (traduire « la rendent monstrueuse », gageons que ce n’était pas volontaire). Marine Le Pen n’étant pas encore Présidente de la République, le dessinateur a parfois été obligé de photoshoper des têtes de responsables FN sur des corps dans la situation voulue, ce qui peut donner des rendus clairement ratés, comme on peut le constater sur la double page présentant le conseil des ministres, où Marie-Christine Arnautu ressemble à Eva Joly, Geoffroy Didier à David Pujadas, un ministre non identifié (Nicolas Bay ?) à Mitt Romney et où Steeve Briois a fait un oedème du visage. Le tout dans une ambiance particulièrement lugubre puisque tous les individus n’étant pas utiles à l’histoire sur les photos utilisées sont littéralement défigurés.

En résumé, François Durpaire est passé un peu à côté de son pari d’une BD de politique-fiction crédible, il est vrai particulièrement exigeant. S’il fait montre d’un véritable travail de recherche et explore des thèmes intéressants, il passe à côté de beaucoup d’autres en frayant par trop avec la fiction pure et met en scène des mesures a priori incongrues venant de Marine Le Pen. Nul ne sait quelle proportion de son programme Marine Le Pen appliquerait, mais même si les principaux axes de la BD – notamment la politique anti-immigration – sont bien conformes au programme frontiste, il aurait fallu s’en tenir à ce dernier ou annoncer dès le début que l’on suivrait une hypothèse maximaliste. Si l’on rajoute le bémol graphique qui lui ne rajoute pas en neutralité, on accumule beaucoup d’à-côté qui peuvent tenir de la manipulation tantôt discrète, tantôt balourde du lecteur. Le FN a changé de visage, la lutte contre le FN doit elle aussi changer pour se faire plus subtile à l’image de la « dédiabolisation » de Marine Le Pen, et surtout se tenir éloignée le plus possible de prédictions apocalyptiques qui ne fonctionnent plus sur l’électorat frontiste. Une BD qui convaincra les convaincus donc, beaucoup moins les autres. Note indicative : 2.5/5***.

Scipion

*La Présidente de François Durpaire (scénario) et Farid Boudjellal (dessin), Édition des arènes, Novembre 2015, 20€

** Théoriquement, les contrats de dette sous droit français peuvent être re-libellés dans une nouvelle devise par l’Etat, ici le franc nouveau. Ainsi, en fixant le franc à parité avec l’euro avant de le dévaluer, un gouvernement qui sortirait de l’euro n’aurait plus à payer sa dette en euro mais en francs et les dettes étatiques ne seraient donc plus impactées à la hausse par une dévaluation du franc (si l’on doit payer 100 milliards d’euros de dette, qu’on les transforme en 100 milliards de francs de dette, on aura toujours à payer 100 milliards de francs dette même si on dévalue le franc. En revanche, si on est obligé de payer 100 milliards de dette en euros et qu’on fixe par la suite le franc à – par exemple – 50 centimes d’euros, on devra mettre non pas 100 milliards mais 200 milliards de francs pour payer les 100 milliards d’euros de dette). Si cela évite (en théorie, l’expérience n’ayant jamais été testé dans le monde) de faire exploser la dette étatique, cela n’est pas le cas de la dette privée qui n’est qu’à 30% de dette sous contrat français, les 70% restants ne pouvant donc pas être re-libellés en francs et resteront en euros.

*** Cette note n’est que le produit d’un effort de synthèse entre les points positifs et négatifs évoqués précédemment et pas d’un barème précis. Dans ce cas-ci, l’ambition de faire un ouvrage objectif, ambition réalisée sur de nombreux aspects, excluait les fantaisies présentes tout au long de l’ouvrage, et particulièrement à la fin avec un rebondissement aux allures de série hollywoodienne, que nous avons choisi de ne pas développer pour respecter l’aspect fictif (mais qui implique du terrorisme non-islamique).

Une réflexion sur “Bande dessinée : La Présidente [critique]

  1. ** Purement théorique, puisque il n’y a plus de parité monétaire tel que c’était le cas entre 1944 et 1970 ( de Bretton-woods à la dénonciation des dettes-or étasuniennes ), et ce fut d’ailleurs LE moyen de faire plier Mitterrand en 1983, d’attaquer le Franc.
    Non il n’y a rien qui puisse tenir la route dans le programme éconotragique du FhaiNe, et ce n’est pas d’aujourd’hui, cela ne peut pas ‘ changer ‘, puisque cette ‘ petite entreprise ‘ n’est là que pour servir de crachoir.
    Leur problème ?
    Avoir trop ‘ sollicitées ‘ les vésicules biliaires des citoyens.
    Vivement une constituante populaire, et si toi lecteur, tu n’es pas d’accord, c’est soit que tu n’es qu’un larbin ignare de sa propre condition, oeuvrant pour tes maîtres, soit que tu un de ceux qui ne veulent surtout pas que les citoyens réalisent que la représentativité était valable au 18 eme siècle, mais plus du tout au 21 eme siècle.

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